LE TRAUMATISME REND-IL PLUS FORT OU PLUS FAIBLE APRÈS UN PN ?

“Ce qui ne me tue pas me rend plus fort” écrivait Nietzsche en 1888 dans Crépuscule des idoles. Or, la croyance populaire prédit un triste sort aux victimes de psychotraumatisme, estimant le reste de leur vie gâché à jamais. À entendre la plupart des anciennes proies de pervers narcissiques, dire que le traumatisme rend plus fort serait une ineptie. Pourtant, une fois extirpées de la relation d’emprise, on assiste chez certaines à un phénomène de résilience amplifié, de l’ordre de la croissance post-traumatique. Alors dans quelle mesure sort-on grandi ou abîmé d’un événement traumatisant ? Comment augmenter ses chances de surpasser un vécu hautement perturbateur au niveau psychique ?

Les dégâts tangibles causés par les épreuves de la vie

Pour traiter la question de savoir si un traumatisme rend plus fort ou plus faible, l’analogie physique est souvent utilisée. Ainsi, on illustre cette pensée très optimiste par l’image du muscle qui se renforce grâce aux intrusions traumatiques infligées volontairement lors de séances d’activités sportives intenses, à condition que celles-ci restent contrôlées. De même, on entend régulièrement parler de l’os fracturé qui se consolide, c’est-à-dire qu’en plus de se rétablir, il se verrait doté, à la fin du processus de guérison, d’une sorte de surcouche protectrice. Mais qu’en est-il du psychisme ? Le psychotraumatisme est-il observable par des preuves tangibles et donc, réparable et renforçable ?

Les signes d’effraction traumatique

Nous avons expliqué à diverses reprises dans nos différents articles, podcasts et vidéos que des manifestations physiologiques réelles s’observaient à la fois lors d’événements traumatiques isolés (deuil, rupture, perte d’emploi, accident, annonce de maladie, agression, catastrophe, etc.) ou suite à un stress chronique provoqué par une répétition d’agents pathogènes (abus émotionnels, violence physique récurrente, inceste, agressions multiples, guerre, etc.). Les signes cliniques peuvent se présenter sous les formes suivantes :

  • syndrome de Tako Tsubo (dit aussi “syndrome du cœur brisé” qui entraîne un dysfonctionnement temporaire du myocarde) ;
  • atrophie de l’hippocampe (en cas de stress prolongé) ;
  • ESPT (état de stress post-traumatique) ;
  • somatisation (symptômes physiques persistants issus d’un problème psychologique) ;
  • troubles du sommeil (insomnie ou hypersomnie) ;
  • troubles de l’alimentation (anorexie, boulimie, etc.) ;
  • troubles du comportement (anxiété, dépression, idées suicidaires, addictions, phobies, TOC, etc.) ;
  • troubles cognitifs (défaillance de la mémoire, de l’attention, etc.) ;

L’organisme soumis à un stress intense est ainsi lourdement éprouvé jusque dans ses organes vitaux comme le cœur et le cerveau, entraînant presque inévitablement une fatigue extrême. Si ces altérations du fonctionnement perdurent, le sujet sera fragilisé et potentiellement plus enclin à rencontrer d’autres épisodes traumatiques. Sa vulnérabilité augmentera donc à mesure que la situation critique et les moyens de compensation trouvés s’ancreront dans le temps. De plus, les individus traumatisés ont tendance à culpabiliser et à se déprécier. Apparaît ainsi un trouble de l’estime de soi qui représente un cercle vicieux entravant la mise en route d’un nouveau développement post-trauma tel qu’attendu par le concept de résilience. Autrement dit, si c’est un PN qui vous a affaibli, il n’est pas exclu qu’un autre manipulateur cherche à tirer parti de votre état d’épuisement et de détresse psychologique, comme si un traumatisme ouvrait la voie à d’autres dans un processus cumulatif.

Tous égaux face au trauma ?

Il serait erroné de penser que quiconque n’a pas succombé au trauma sortira grandi de l’épreuve. D’ailleurs, la célèbre citation de Niezsche est trop souvent interprétée de façon hâtive. Lui qui était convaincu d’appartenir à une frange “supérieure” de la population parle bien à la première personne lorsqu’il annonce fièrement “ce qui ne me tue pas me rend plus fort”. Il est impossible de présager d’un avenir radieux pour tous les cas de figure, car les facteurs internes ou externes influant sur la capacité ou non à surpasser le trauma sont très nombreux. Il peut s’agir :

  • de l’histoire personnelle de la victime ;
  • de sa personnalité ;
  • de l’environnement dans lequel elle évolue ;
  • du contexte dans lequel elle se trouve ;
  • du degré de gravité de son traumatisme ;
  • de sa gestion des conséquences de l’événement perturbateur ;
  • du système de soutien dont elle bénéficie ;
  • du temps écoulé ;

Présumer que tout survivant de trauma va forcément se diriger vers une transcendance de l’événement représente une pression potentiellement dommageable. En effet, l’injonction à se rétablir rapidement et à se transformer en version améliorée de soi-même sous-tend qu’en cas de non-réalisation de cet objectif, il y aurait une forme de passivité, voire d’incompétence de la victime. Cela équivaut à la mettre en échec, la poussant peut-être à accomplir inconsciemment l’autre prophétie, celle qui prédisait l’issue inverse, à savoir qu’elle était fichue d’avance.

La destruction, prélude à une meilleure reconstruction ?

Ce qui est absolument certain et commun à toutes les victimes de traumatisme, c’est que l’événement perturbateur (étant entendu qu’il s’agit autant d’un fait isolé que d’une situation récurrente comme pour les microtraumas cumulatifs) doit impérativement être intégré dans le parcours de vie. En d’autres termes, il est illusoire et inconstructif de chercher à nier cette réalité, même si “faire comme si de rien n’était” est tentant pour soulager momentanément le stress. Soyez assuré qu’à la manière de la poussière cachée sous le tapis, prétendre que le trauma n’a pas eu lieu équivaut à en subir les conséquences plus tard, de façon aggravée. Ainsi, pour continuer d’avancer, il va falloir apprendre à composer avec cette nouvelle donnée, qu’on le veuille ou non.

Chaos et remise à plat

Le trauma marque une rupture dans le développement psychique. Il constituera à jamais la jonction entre l’avant et l’après. Ce bouleversement déborde les ressources adaptatives du sujet qui passe donc par une phase de perte de repères. À cette occasion, il est courant d’observer une remise en question de ses principes, de ses valeurs et de tout ce qui lui faisait office de croyances fondamentales. Des interrogations quasi métaphysiques peuvent intervenir ayant trait à la quête de sens dans sa dimension la plus globale et la plus profonde.

Dans le cadre d’une relation d’emprise, la victime se demande alors pourquoi elle a pu supporter autant de maltraitance. Pour quelqu’un touché par le décès d’un père, il pourrait se mettre à soupçonner d’avoir suivi les désirs intériorisés de son parent, plutôt que sa propre vocation. Pour un soldat choqué par les atrocités de la guerre, il remettrait peut-être en cause la politique de son gouvernement et le bien-fondé de son engagement militaire.

Bref, lorsque toute sa vision du monde s’écroule sous l’effet d’un séisme psychologique, il faut d’abord, pour accéder à la reconstruction, prendre conscience des différentes voies possibles. Ce qui semblait tout tracé ne suscitait pas d’interrogation, mais là, la victime est en arrêt et en proie au doute. Avant de faire un pas, elle doit décider de sa direction. Après tout, si votre maison s’effondrait, chercheriez-vous à la reconstruire à l’identique (sachant que c’est impossible vu que les anciens matériaux sont détruits) ou en profiteriez-vous pour l’améliorer ? C’est en cela que la croissance post-traumatique (CPT) constitue l’occasion de reprendre les rênes de son destin, plus en accord avec ses aspirations profondes fraîchement élucidées. Il y a là une composante de l’ordre de l’instinct de survie. Nos capacités cognitives sont mobilisées pour donner du sens à ce vécu traumatique. Il est presque vital d’expliquer sa survenue par l’effet cathartique qu’on lui confère après-coup. Ainsi, il n’est pas rare d’entendre des survivants de traumas déclarer (le plus souvent de nombreuses années plus tard) que leur déconvenue a finalement été une bénédiction. Mais cela n’est-il pas trop beau pour être vrai ? Posez la question à ces mêmes personnes de savoir si elles auraient préféré ne jamais être traumatisées et leur réponse sera majoritairement sans appel : c’est oui ! À choisir, elles pencheraient pour être épargnées par l’expérience perturbatrice, quitte à passer à côté de leur cheminement spirituel ou de leur engagement caritatif, par exemple.

Le renforcement provoqué par le trauma est-il réel et durable ?

En somme, le traumatisme impose de “faire avec” et notre condition humaine proposerait comme issue de lui trouver un dénouement utile et donc, positif. L’introspection occasionnée ouvre effectivement la possibilité de repartir sur une base plus respectueuse de l’identité propre de la victime, ce qui lui redonne de son pouvoir et de son libre arbitre. Cette “meilleure version” de soi-même (pour reprendre l’expression en vogue) est-elle pour autant acquise définitivement ? Il semblerait que cela ne soit pas aussi simple…

Certaines études relèvent même que parmi les traumatisés ayant déclaré avoir vécu une CPT quelques mois après l’événement perturbateur, une majorité présentait, sur un délai plus étendu, des troubles encore plus sévères de l’ESPT. Ceci suggère que l’impression de renforcement post-trauma serait en réalité transitoire et masquerait la persistance du conflit psychique, lui donnant, à terme, davantage d’ampleur. En somme, cette apparente force du survivant pourrait cacher les blessures psychiques non résolues, à l’image d’un animal meurtri qui redouble d’énergie pour se montrer agressif ou prendre la fuite.

Face à tant de complexité de cas, de situations et de possibilités d’évolution dans le temps, il est bien présomptueux de sceller l’avenir d’une personne en affirmant que le traumatisme rend plus fort ou plus faible. Les anciennes proies de MPN ont toutes cru un moment qu’elles seraient définitivement incapables d’aimer ou de faire confiance à nouveau. Or, nombreuses sont celles qui accèdent au bonheur une fois leur faille narcissique et leur dépendance affective prises en compte. Ce qui est certain, c’est que l’événement perturbateur fait partie intégrante du développement psychique de la victime et ce, quel que soit son âge. Pour parvenir à accepter son histoire avec ses écueils, rien ne vaut l’accompagnement thérapeutique d’un psychologue qualifié. Nous pensons que les traumas devraient tous faire l’objet d’un travail introspectif bien encadré, car ils représentent des phases critiques susceptibles de changer le cours d’une vie. Un meilleur épanouissement post-trauma est heureusement possible.

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