LES MICROTRAUMATISMES CUMULATIFS EN PSYCHANALYSE

Gros trauma ou petit trauma ? S’il est possible de donner une échelle de valeurs à une atteinte physique sur la base de critères objectifs tels que la nature, la taille ou la gravité du dommage, qu’en est-il de la blessure psychique ? Elle dépend bien sûr du sujet qui l’éprouve et de sa gestion des effractions mentales qu’il subit. Dans le cas des microtraumatismes cumulatifs, en psychologie comme en anatomie, les chocs sont subtils, mais suffisamment répétés pour laisser se multiplier des marques fragilisantes. Le plus souvent, elles sont d’abord inconscientes, jusqu’à ce que le mur, maintes fois ébranlé, s’écroule… Si c’est l’œuvre d’un pervers narcissique au travail, en couple ou en famille, vous pouvez être certain que cette destruction a été savamment orchestrée. Zoom sur un phénomène encore peu connu.

L’accumulation, base de la saturation

Comme le disait Ovide il y a plus de 2000 ans : “Quoi de plus solide que le rocher, de moins dur que l’eau ; et cependant l’eau creuse les rocs les plus durs.” Cette citation illustre parfaitement les dangers des microtraumatismes cumulatifs. Ce sont les petites répétitions fréquentes et rapprochées qui causent les grands effets.

Nous avons déjà évoqué dans un précédent article 9 techniques de micromanipulation qu’affectionnent particulièrement les pervers narcissiques, mais qu’utilisent aussi parfois des personnes plutôt équilibrées, sans même s’en rendre compte. Ainsi, toute notre vie, de notre naissance à notre mort, nous subissons des traumas, c’est-à-dire des rencontres inattendues avec un élément extérieur qui font trace en nous.

Bien sûr, il est tentant de minimiser le phénomène en se conformant à l’idée que cela forge le caractère, que cela nous endurcit pour mieux nous préparer aux difficultés de la vie. Mais dans le cadre du trauma, il serait naïf de supposer que qui peut le plus peut le moins. Ce n’est pas parce que l’on a supporté le pire que ce qui est considéré comme moindre n’a aucun effet sur nous, au contraire. C’est avec ce genre de croyance, avec la conception que l’on s’habitue à tout, que l’on étouffe sa souffrance.

Ignorer la vérité n’a jamais remis en cause son existence. Et tout ce qui est enfoui est amené à ressurgir tôt ou tard, sous une forme déguisée ou tonitruante. En d’autres termes, que le barrage laisse s’écouler l’eau par une brèche cachée qui assèche lentement le lac ou qu’il explose de façon spectaculaire, le résultat est le même : la ressource d’eau a disparu. Appliquée à l’être humain, cette image de dépérissement de l’énergie vitale peut se traduire le plus souvent par :

Qu’on en ait conscience ou pas, qu’on le veuille ou non, les traumas, même les plus infimes,  se manifestent immanquablement. Les psychotraumatismes constituent un axe de travail privilégié en psychothérapie, afin d’atteindre une certaine plénitude.

Le caractère complexe des microtraumatismes cumulatifs

À l’inverse du principe de microtraumatisme, un traumatisme psychique “classique” porte un caractère de brutalité. C’est véritable choc, toujours issu d’une source extérieure, et la corrélation entre sa violence et ses effets est parfaitement décelable. Accident grave, catastrophe naturelle, deuil particulièrement inattendu, agression, attaque sont tous des événements hautement traumatogènes et qui mettent l’individu face à sa propre finitude. C’est l’expérience d’une mort imminente qui prend le sujet de court et le plonge dans un état de stress intense. Si la tension reste présente après la survenue de l’épisode choquant au point de perturber l’équilibre psychique de la victime, on parlera alors d’état de stress post-traumatique. Un thérapeute qualifié pourra apporter les soins nécessaires à cette situation parfois très invalidante et pour laquelle la pharmacopée n’a pas de solution autre que d’en traiter les symptômes les plus gênants, sans régler le fond du problème.

Pour ce qui est du microtraumatisme, on entre dans le champ du trauma complexe.

L’agent traumatisant est cette fois-ci bien plus insidieux. Il opère par la persistance des effractions certes, plus modérées, mais si récurrentes que par un phénomène se présentant comme une habituation, il se substitue à la normalité. Or, les atteintes psychiques sont bien réelles et submergeront tôt ou tard leur destinataire. Il peut s’agir de remarques directes et déplacées sur l’apparence, le comportement ou sur les capacités de la victime : “ce pantalon te grossit”, “tu es vraiment égoïste”, “tu es stupide”, “ton incompétence me sidère”. De façon plus perniceuse, on trouve aussi toutes les manipulations visant à causer la confusion et à mettre en échec le sujet : les injonctions paradoxales, les mensonges, la mauvaise foi, le renversement des rôles, etc. La liste est si longue qu’il est impossible d’être exhaustif, mais derrière chaque mot, chaque acte qui laisse un goût amer à celui qui en fait les frais, il peut y avoir un microtraumatisme. Si le phénomène se répète régulièrement, à intervalles courts et sur une longue période, le risque de perturbation psychologique est réel.

Les critères de diagnostic du trauma complexe s’intéressent à l’altération des aspects suivants :

  • La régulation des affects : sentiment d’inadéquation, pensées suicidaires, comportements addictifs ou à risque, mauvaise gestion de la colère, troubles sexuels…
  • La conscience : troubles de la mémoire, dissociation, dépersonnalisation, déréalisation, ruminations…
  • La perception de soi : honte, culpabilité, minimisation, sentiment d’impuissance ou incapacité à prendre des initiatives…
  • La perception de l’agresseur : idéalisation, indulgence excessive à son égard, adhésion à ses croyances, réflexe de protection de la relation…
  • Les relations interpersonnelles : isolement, repli, inaptitude à faire confiance, victimisation des autres, dépendance à autrui…
  • Le système de sens : sensation de vacuité de l’existence, désespoir, perte des valeurs auxquelles on croyait…
  • La somatisation : douleurs chroniques, troubles digestifs, sensoriels, du sommeil…

Ces manifestations de la détresse constituent la porte d’entrée de l’investigation introspective pour parvenir à déceler les traumas et les traiter.

Toute la difficulté du travail thérapeutique réside dans l’ancienneté de ces agressions mineures, mais répétées, et la non-conscience très fréquente du sujet lui-même de leur existence.

Comment guérir de ses microtraumas répétés ?

La répétition des psychotraumatismes donne naissance à une blessure narcissique, voie royale vers la dépendance affective, elle-même terrain propice à l’emprise sentimentale. Briser le cercle vicieux est essentiel.

Même lorsque ces agressions récurrentes surviennent à l’âge adulte, par exemple dans le cadre d’une relation toxique, cela rend la victime plus susceptible de retomber dans les griffes d’un manipulateur émotionnel. Elles provoquent un état de stress post-narcissique, dont les manifestations sont très proches des TSPT (troubles du stress post-traumatique) et nécessitent l’intervention d’un thérapeute qualifié.

Il n’existe à ce jour aucun traitement médicamenteux permettant de régler la persistance de l’état de stress provoqué par un trauma passé. Les approches pluridisciplinaires obtiennent de bons résultats, à condition d’inclure une thérapie avec un psychologue. C’est un travail de reconstruction qui commence par le nettoyage des débris et l’éradication de la cause de l’effondrement. Il se fera sur une longue période, mais apportera un soulagement notable même en cours de progression.

Les microtraumatismes cumulatifs provoquent, sur le plan psychologique, des dégâts comparables aux plus grands chocs émotionnels, si ce n’est plus importants encore. En effet, leurs aspects insidieux les rendent plus complexes à identifier et à traiter. De plus, l’acceptation sociale de ce mal est bien plus difficile, car trop souvent associée à une faiblesse de caractère. Pourtant, cette dimension de reconnaissance de leur statut est chère aux victimes en reconstruction. Le sujet étant de plus en plus étudié, de nombreuses découvertes devraient encore voir le jour.

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