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Première année avec un pervers narcissique : le scénario classique

Rédaction : Pascal Couderc, psychologue, psychanalyste et auteur, président du comité scientifique de pervers-narcissique.com

Quel que soit le mode d’expression, toute histoire, depuis des millénaires, répond au même schéma narratif. Il y a une situation de départ, la survenue d’un événement perturbateur, une quête d’équilibre, un dénouement mettant fin aux péripéties et l’établissement d’un nouvel ordre. À la lumière de ce constat, comment se déroule la première année avec un PN ? Le manipulateur sentimental est-il le narrateur, le personnage principal ou le semeur de trouble dans le récit de vie de sa proie ? Analysons la  genèse de la mise sous emprise dans les premiers mois de la relation. Faisons ainsi en sorte que cette histoire ne soit qu’un chapitre malencontreux de la biographie d’une victime de pervers narcissique.

Premier trimestre avec un PN : l’introduction

Depuis plus de 37 000 ans que l’humanité raconte ses mythes et légendes, un conte ne saurait se passer d’une mise en contexte. La première année avec un PN ne déroge pas à la règle. À l’origine de cette histoire d’emprise émotionnelle, il y a une personne qui est plutôt bien installée dans sa vie, du moins en apparence. Si ce n’est pas exactement le cas, elle est tout de même dans une phase relativement apaisée, dans une énergie orientée vers la construction, malgré les différents écueils de son parcours. En un mot, elle est prête à s’ouvrir à l’amour ou bien à une relation forte qui peut relever de l’amitié ou de la collaboration dans la sphère professionnelle. C’est en réalité la proie du vampire sentimental. Il a jeté son dévolu sur elle parce qu’elle représente tout ce qui lui fait défaut et qu’il rêverait de posséder. Elle a un cercle social bienveillant, un travail relativement stable et un cadre de vie plutôt épanouissant. Pour un sadique, ce sera jubilatoire de détruire tout cela. Mais avant de dévoiler sa nature machiavélique, le PN va devoir déployer une tactique bien rodée.

Un bon prédateur n’attaque qu’après avoir scrupuleusement étudié sa proie. Il va d’abord l’observer, recueillir et analyser les éléments constitutifs de son quotidien. Une fois qu’il en aura cerné les points clés, il entrera en scène et rien ne sera plus comme avant. Les péripéties de l’histoire commencent. Il s’immiscera le plus souvent par une approche miroir, pour donner un effet de rencontre d’âmes sœurs ou d’alter ego. Les échanges seront alors ponctués de fréquents et enthousiastes “moi aussi !” En un mot, cette collision apparaîtra comme extraordinaire, écrite d’avance et cette dimension la rendra assez obsédante.

Deuxième trimestre : la conquête

Tout ce qui sort de l’ordinaire capte l’attention. Le PN, avec son magnétisme savamment entretenu par les bonnes proportions de charme et de mystère devient vite entêtant pour la personne qu’il cible. Sans aucun doute possible, le deuxième trimestre marque la phase de séduction, au moins dans le sens de l’implication émotionnelle provoquée chez la proie. Si la fusion entre les deux n’a pas déjà eu lieu, elle se fera certainement avant la fin des 6 premiers mois. Il s’agit d’une période idyllique au cours de laquelle le stratège machiavélique instaurera une vision idéalisée de la relation. On appelle cet épisode la “lune de miel”. Elle est indispensable à la réussite de la mise sous emprise. À ce stade, la proie consacre une immense partie de ses pensées au nouveau venu dans son univers. Évidemment, cet envahissement mental est orchestré minutieusement par l’intrus toxique qui use de la technique manipulatoire du love bombing pour saturer l’autre de sentiments positifs à son égard. Comme on a coutume de dire qu’une personne tient difficilement son masque social après plus de 4 mois de proximité relationnelle, le deuxième trimestre ouvre en général aussi une phase de tests. Le MPN va alors tenter d’apprécier au plus juste le niveau de malléabilité de sa proie et sa réceptivité au conditionnement à l’impuissance. Il instaurera par exemple les prémisses de son jeu favori : celui du chaud et du froid. Par l’instillation parcimonieuse de malentendus et de tensions imputables aux ajustements nécessaires à toute relation naissante, il pourra évaluer où se situent les limites de sa proie et adapter sa stratégie de façon à les repousser chaque fois plus. Dans le cadre d’un couple, la victime se sent extrêmement amoureuse de son PN au deuxième trimestre et, bien que nous sachions qu’il s’agit en fait de dépendance affective, elle n’aura de cesse de s’accrocher à cet épisode heureux de la relation pour supporter toute la violence émotionnelle qui l’attend par la suite.

Troisième trimestre : la réorganisation

Parce que l’assimilation de l’autre a eu lieu, le troisième trimestre marque la réorganisation. Deux territoires individuels se sont absorbés pour en faire une nouvelle entité à deux. En découle une mise sous cloche de la dyade pour la protéger des influences extérieures. Le temps est venu de travailler à cette nouvelle configuration. Les projets fusent : voyage, déménagement, mariage, bébé, etc. L’énergie et le temps consacrés à cela impactent les autres sphères de la vie de la victime. On assiste en général à des changements professionnels (baisse de performance, survenue de problèmes relationnels, etc.), une diminution des activités personnelles (sport, loisirs, bénévolat) et des interactions sociales et familiales (sorties, contacts). Ce qui ressemble à la construction d’un avenir à deux est en fait un isolement de la proie. En quelque sorte, chaque réaménagement tend vers l’élaboration de sa prison par l’ajout progressif de contraintes liées à la relation. La victime est priée d’être plus disponible pour son PN et par conséquent, moins libre pour tout le reste. Elle fait de plus en plus souvent l’expérience de l’agression passive, voire pire.

Quatrième trimestre de la première année avec un PN : l’instauration de la tyrannie

Le piège a été bien élaboré, il est en place et prêt à se fermer pour de bon. La fin de la première année avec le PN révèle enfin sa nature ouvertement tyrannique, du moins dans l’intimité. En société, il donne toujours le change, bien entendu, conscient de l’importance de se mettre les amis communs dans la poche. En huis clos par contre, les abus émotionnels se multiplient. Parfois, l’emprise est déjà tellement forte à ce stade, que des accès de colère ont pu se produire, voire des violences physiques. Toutefois, c’est une période sous le signe de l’ambiguïté. Elle est si proche de l’idylle des débuts que la victime qui s’ignore encore en est imprégnée et croit fortement à un retour de ces temps bénis pas si lointains. Imaginant que son désarroi est temporaire et marque seulement une période de crise relativement normale, elle se tait et cache ses problèmes à ses proches, creusant d’autant plus l’isolement. Pourtant, elle amorce indubitablement la descente aux enfers qui se déroulera sur des années, voire des décennies, tant que la relation durera. Il n’est pas rare qu’en fin de première année avec un PN, surtout si c’est un homme toxique par exemple, la femme soit déjà en ménage ou mariée, parfois enceinte de son bourreau et subissant aussi des violences économiques.

La première année avec un PN est consacrée à la mise sous emprise. C’est une constante jamais démentie parmi tous les récits livrés par nos patients. C’est pourquoi il est totalement erroné de croire qu’une personne peut devenir perverse narcissique en adoptant soudain un comportement maltraitant survenant seulement après plusieurs années de relation. Le MPN agit très vite et les premiers mois sont forcément marqués par des situations de malaise profond de la victime. Elle sent que quelque chose est délétère, mais elle ignore son alarme interne. Pour donner un dénouement heureux au drame qui se joue, il faut faire en sorte que le nouvel équilibre imposé par le manipulateur ne soit pas pérenne. En quelque sorte, l’élément perturbateur de la narration doit être la relation toxique tout entière, pour faire du cheminement vers la reconstruction la véritable quête vers un ordre nouveau et bien plus sain. En d’autres termes, il ne faut pas laisser les pervers narcissiques écrire la fin du film.