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Épisode 5 : Pouvoir(s)

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La question du pouvoir dans le couple traverse l’histoire de l’humanité et structure les rapports entre hommes et femmes depuis des millénaires. De la maternité à la domination, de la complémentarité à l’inégalité, ces jeux de pouvoir évoluent avec les transformations sociales mais persistent sous des formes nouvelles. Avec le pervers narcissique, ces rapports de pouvoir deviennent des instruments de manipulation systématique, où l’égalité proclamée masque une domination absolue et destructrice.

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La maternité : don ou pouvoir ?

Le pouvoir originel de la fécondité

Le premier pouvoir auquel on pense, celui que la Nature a bien voulu octroyer, est celui de la maternité. C’est de la force physique et de la fécondité que partent toutes les ramifications de distribution des tâches entre hommes et femmes et donc, de ce qui est susceptible d’attribuer du pouvoir. Comme l’a souligné Françoise Héritier à plusieurs reprises, la différence entre féminin et masculin réside dans la fécondité (pas dans le sexe en lui-même), et c’est par le contrôle de la fécondité et de la reproduction que les hommes ont pu installer leur domination sur les femmes.

Cette analyse anthropologique révèle une vérité fondamentale : ce n’est pas la capacité biologique en elle-même qui confère le pouvoir, mais bien le contrôle de cette capacité. L’homme, ne pouvant enfanter, a compensé ce « manque » par l’établissement de structures sociales, légales, religieuses qui lui permettent de contrôler la reproduction féminine. Cette appropriation du corps de l’autre trouve son écho le plus pathologique dans la relation avec un pervers narcissique, qui considère le corps de sa partenaire comme sa propriété absolue.

La corrélation entre statut de la femme et fécondité, comment l’une influence l’autre, dans les deux sens, a fait l’objet de nombreuses études, présentées notamment en 1988 lors de la célèbre conférence d’Oslo sur le « statut de la femme et l’évolution démographique dans le cadre du développement ». Ces recherches ont mis en lumière un cercle vicieux : la maternité précoce et répétée maintient les femmes dans la dépendance économique, qui elle-même perpétue les grossesses non désirées, renforçant ainsi l’assujettissement féminin.

Maternité : capacité physiologique ou véritable pouvoir ?

Mais la maternité représente-t-elle un vrai pouvoir, est-elle réellement plus qu’une capacité physiologique ? Marie, mère d’une petite Karine et compagne d’Alain, explique :

« Karine est une enfant désirée, voulue. Elle n’est pas arrivée par hasard. J’étais donc très contente de tomber enceinte. Ma grossesse s’est bien passée, mais j’ai dû me résoudre à travailler à mi-temps dès le cinquième mois, parce que j’avais beaucoup de contractions et le médecin a préféré appliquer le principe de précaution. Au bureau, mes collègues me regardaient de travers – même les femmes qui pourtant auraient pu me comprendre – parce que, à cause de moi, leur travail augmentait ! Puis Karine est née ; Alain a assisté à l’accouchement. Il m’a beaucoup soutenue, tout comme durant la grossesse, mais c’était quand même sur moi que tout reposait ! Après la naissance, j’ai eu un peu de mal à me remettre ; j’étais très fatiguée. J’ai traversé une période difficile ; Alain m’aidait du mieux qu’il pouvait. Quand nous avons commencé à alimenter la petite au biberon, il se levait parfois la nuit à ma place. Maintenant tout va bien, et si c’était à refaire je le referais, mais il faut quand même avouer que la femme supporte la majeure partie de l’enfantement, avant, pendant, après. Et cela change forcément tout son quotidien. »

Un don plus qu’un pouvoir

La maternité est à envisager comme un don, à la fois plaisant et encombrant, plus qu’un « pouvoir » : elle assigne la femme à un rôle qui risque d’être unique, si cette dernière se trouve totalement accaparée par son devoir. La mère, oui, connaît le mystère de la vie à l’intérieur de soi et, par l’allaitement, savoure le plaisir de nourrir, de « remplir » sur la seule ressource de son propre corps. Par la grossesse puis pendant la période postnatale, elle accomplit un acte de prolongement idéal, mais cela ne lui attribue pas de véritable pouvoir, sinon celui d’être en mesure d’affirmer : « Moi, je sais ce que l’on ressent, j’ai un lien privilégié avec mon enfant. »

L’homme, percevant et jalousant peut-être cet avantage, a eu bien vite fait de le rééquilibrer, parfois même de le contrecarrer : on dénombre maints exemples où l’enfant est soustrait à l’attention de la mère, souvent très jeune, soit pour des motifs plus ou moins religieux, soit simplement par usage. Dans beaucoup de sociétés, l’éducation est une affaire d’hommes, surtout envers les enfants mâles. Les nourrices, duègnes, précepteurs et autres substituts ont éloigné les mères.

La maternité instrumentalisée par le manipulateur

Aujourd’hui, même si ces usages sont devenus obsolètes et que le couple est simplement « équitablement » attentif à l’enfant et aux soins qu’il requiert, la vie active des femmes, liberté chèrement gagnée, amoindrit à son tour le rôle prépondérant de la mère. Pour tenter d’enrayer cette dernière inégalité, les congés de paternité ont récemment été mis en place, et on observe également un nombre croissant de pères au foyer, même si ces solutions restent minoritaires.

Avec un pervers narcissique, la maternité devient un instrument de manipulation supplémentaire. Il peut soit la glorifier pour enfermer sa partenaire dans ce rôle exclusif (« Une bonne mère ne travaille pas », « Tu négliges tes enfants »), soit la dénigrer pour la culpabiliser (« Tu es tellement accaparée par les enfants que tu me délaisses »). Pauline témoigne de cette double contrainte : son compagnon lui reprochait simultanément de ne pas être assez présente pour les enfants et d’être trop « maternelle », ce qui le privait d’attention. Cette logique paradoxale vise à maintenir la victime dans un état de culpabilité permanente, quel que soit son choix.

Cependant, la femme porte l’enfant de l’homme, et non le contraire. Certaines sociétés emphatisent d’ailleurs l’importance de la maternité : ce qui compte, ce qui « fait la différence » entre l’homme et la femme n’est pas le sexe, mais la capacité d’enfanter, la fécondité, et la femme stérile a alors un statut à part ; elle est considérée comme une enfant (chez certains peuples d’Afrique). Dans d’autres sociétés ou à d’autres époques, le féminin fait peur, il est entouré d’un mystère vaguement menaçant : le vagin est ce lieu mal connu (parce que « caché ») où tout advient. Cette fascination mêlée de crainte pour le pouvoir reproductif féminin traverse les cultures et les époques, témoignant d’une angoisse masculine archaïque face à ce qui lui échappe.

De la complémentarité à l’inégalité : les jeux de pouvoir

La complémentarité comme création de lien

L’homme et la femme forment a priori une équipe « nécessaire » : sans elle, pas de continuité de l’espèce. Cette complémentarité anatomique a depuis toujours trouvé son pendant dans une division des tâches. Le côté positif de la complémentarité, c’est qu’elle crée du « lien » : « Tu fais ceci, je fais cela. » Nous dépendons chacun réciproquement de la compétence de l’autre. La collaboration est synonyme d’efficacité.

« En dehors de son rôle de père, Alain est aussi très actif, dit Marie. Si nous sommes complémentaires ? Bien sûr ! Il accomplit des tas de choses que je serais bien incapable de faire ! Il déplace l’armoire quand nous voulons nettoyer derrière… Je plaisante, mais il ne faut pas se leurrer : tout ce qui dépend strictement de la force physique lui incombe forcément, parce que moi, je pèse cinquante kilos tout habillée… Mais il n’y a pas que cela. La cuisine, par exemple, c’est son domaine. Il adore concocter des plats et il le fait nettement mieux que moi, sauf pour les desserts. Je suis spécialiste ès desserts. Dans l’ensemble, oui, je constate que nous sommes très complémentaires. Je pense que c’est notre force : j’ai besoin de lui ; il a besoin de moi. »

Ce témoignage illustre une complémentarité saine, où les tâches sont réparties selon les goûts, les compétences et les capacités de chacun, sans rapport de domination. Chacun reconnaît l’apport de l’autre et valorise sa contribution. Cette réciprocité est absente de la relation avec un pervers narcissique, qui transforme la complémentarité en exploitation unilatérale.

Quand la complémentarité engendre l’inégalité

On retrouve toujours, dans toutes les sociétés et de tout temps, une répartition sexuelle des rôles, des devoirs, lesquels sont d’abord choisis selon le double critère de la force du corps et de la maternité. Pour cette raison, la complémentarité homme-femme semblerait suggérer une hiérarchie : il existe une échelle des valeurs dans les compétences. En effet, si la complémentarité est porteuse d’un certain équilibre, force est de constater que l’homme a souvent le beau rôle, dans le sens où on lui attribue les tâches « nobles », ou bien il est « investi » de capacités techniques supposées lui être naturelles, comme le maniement de la perceuse ou du tournevis, lequel ne requiert pourtant pas une force herculéenne ni un entraînement sportif de haut niveau.

Toutes les femmes se sont un jour entendu dire : « Laisse-moi faire, tu n’y connais rien », « Tu vas tout casser », « Tu vas te faire mal »… Aussi, le critère d’attribution des tâches et des compétences ne dépend pas toujours de ce dont la Nature nous a dotés… Ces injonctions révèlent un processus de socialisation qui assigne arbitrairement certaines compétences à un sexe plutôt qu’à l’autre. Le pervers narcissique utilise brillamment ce mécanisme : il se pose en expert sur tous les sujets, décrète que sa partenaire est incompétente, puis la dévalorise quand elle échoue dans des tâches qu’il ne lui a jamais permis d’apprendre. Lauri décrit cette spirale : interdite de toucher à la voiture, aux outils, aux finances, elle s’est progressivement convaincue qu’elle était effectivement « nulle » dans tous ces domaines.

La différenciation comme maintien du système

De plus, les sociologues s’accordent tous à constater que la différenciation des rôles homme/femme a pour objectif de maintenir la cohésion de la famille et le bon fonctionnement du système familial. Mais tout processus de différenciation induit des inégalités… Cette observation est cruciale : ce ne sont pas les différences biologiques qui créent l’inégalité, mais bien la valorisation différentielle des rôles socialement assignés. Les tâches masculines sont considérées comme plus importantes, plus complexes, plus valorisantes que les tâches féminines, même quand ces dernières requièrent autant de compétences et d’efforts.

Dans le couple avec un manipulateur, cette dévalorisation systématique du travail féminin atteint des sommets. Que la femme travaille à l’extérieur ou qu’elle soit mère au foyer, sa contribution est minimisée, invisibilisée, tournée en dérision. « Tu ne fais rien de ta journée », dit-il à celle qui gère seule la maison, les enfants, les courses, les devoirs, les rendez-vous médicaux — soit l’équivalent de trois emplois à temps plein. Cette négation du travail domestique et parental s’inscrit dans une violence psychologique qui vise à détruire l’estime de soi de la victime.

De l’inégalité à la domination : la loi du plus fort

L’historique de la domination masculine

Dans l’humus de l’inégalité, la domination germe facilement. Or les générations précédentes ont vécu sur ce mode de relation. Les femmes n’ont le « droit » de voter que depuis quelques décennies ! Dans beaucoup de pays, de cultures, l’homme domine encore largement. C’est en somme la loi du plus fort, parfaitement illustrée par les expressions communément utilisées de « sexe faible » et « sexe fort »…

Cette domination institutionnalisée s’est longtemps appuyée sur un arsenal juridique, religieux, social qui légitimait l’infériorité féminine. Le Code civil napoléonien faisait de la femme mariée une mineure perpétuelle, soumise à l’autorité de son mari. Elle ne pouvait ni travailler, ni ouvrir un compte bancaire, ni gérer ses biens sans son autorisation. Cette dépendance légale rendait la séparation quasi impossible, maintenant les femmes prisonnières de mariages parfois violents. Léa, dont la grand-mère a vécu sous ce régime, raconte comment celle-ci a dû endurer quarante ans de harcèlement moral faute d’alternatives économiques.

Les mutations contemporaines

Cependant, de nos jours, tout est remis en question entre hommes et femmes. Avec la contraception et les progrès de la médecine, l’assujettissement au corps a perdu de son importance. Le mouvement féministe est d’ailleurs né parallèlement à l’évolution scientifique. Les hommes, de leur côté, assument désormais parfaitement des tâches, des rôles qui répugnaient à leurs aïeux. Ne voit-on pas, chaque jour, à la télévision, des publicités où c’est l’homme qui sort le linge de la machine, tout content d’avoir obtenu un blanc « technique » ?

Les professions autrefois réservées aux hommes ne sont-elles pas maintenant plus accessibles aux femmes ? Les repères se déplacent, les frontières s’effacent. Cette transformation est réelle et profonde. Les jeunes générations grandissent avec des modèles plus égalitaires, où les femmes peuvent être ingénieures, pilotes, chirurgiennes, et où les hommes peuvent être infirmiers, sages-femmes, assistants maternels. La mixité des métiers progresse, lentement mais sûrement.

Le « Far West social » et les nouvelles formes de manipulation

Dans cette sorte de « Far West social », comment vont s’organiser les futures relations entre les genres féminin et masculin ? Ce manque de contraintes préétablies va-t-il amener la manipulation quotidienne à s’exercer davantage ? Autrefois, l’homme disposait d’« instruments » sociaux lui assurant un pouvoir de coercition sur la femme. Aujourd’hui, beaucoup moins… La femme est plus indépendante, du moins parce qu’elle travaille. De son côté, celle-ci a été habituée, par le passé, à mettre en œuvre des manipulations au sein du ménage, notamment pour contrecarrer le pouvoir masculin.

Cette question est fondamentale. La disparition des structures traditionnelles de domination n’a pas fait disparaître le désir de pouvoir chez certains individus — elle l’a simplement contraint à trouver de nouvelles formes d’expression. Le pervers narcissique moderne ne peut plus s’appuyer sur la loi pour soumettre sa partenaire ; il doit donc recourir à des méthodes plus subtiles, plus insidieuses : le gaslighting, la culpabilisation, l’isolement social, la destruction de l’estime de soi, l’alternance entre idéalisation et dévalorisation.

Ces techniques sont d’autant plus efficaces qu’elles se dissimulent derrière un discours d’égalité. Le manipulateur proclame haut et fort qu’il respecte sa partenaire, qu’il croit en l’égalité des sexes, qu’il n’est pas comme ces « vieux machos » d’une autre époque. Mais ses actes contredisent systématiquement ses paroles. Il encourage sa partenaire à travailler — puis la critique pour négliger la maison. Il prétend partager les tâches domestiques — puis sabote systématiquement sa contribution pour qu’elle soit obligée de tout refaire. Il affirme vouloir une relation d’égal à égal — puis prend toutes les décisions importantes sans la consulter.

La violence invisible du pouvoir moderne

Cette violence psychologique est d’autant plus destructrice qu’elle est invisible. La victime ne peut pas la nommer, parce qu’elle ne correspond pas aux schémas traditionnels de la domination masculine qu’on lui a appris à identifier. Son partenaire ne l’empêche pas de travailler, il ne la frappe pas, il ne lui interdit rien explicitement — comment pourrait-elle se plaindre ? Pourtant, elle se sent étouffée, diminuée, vidée. Elle a l’impression de devenir folle, de tout faire de travers, d’être incapable de satisfaire son partenaire malgré tous ses efforts.

Capucine décrit cette confusion : « Je me disais : il est moderne, il m’encourage à avoir ma carrière, il participe aux tâches ménagères — je devrais être heureuse. Mais je ne l’étais pas. Je me sentais constamment coupable, constamment inadéquate. Il fallait que je sois tout : une professionnelle brillante, une mère parfaite, une amante passionnée, une ménagère irréprochable. Et quoi que je fasse, ce n’était jamais assez. » Cette exigence d’être « tout » simultanément, sans jamais avoir droit à la fatigue, au doute, à l’imperfection, caractérise la domination perverse narcissique contemporaine.

Les enjeux du pouvoir dans le couple postmoderne

L’évolution des rapports de pouvoir

Il apparaît donc licite de se poser la question du devenir du couple et de s’interroger sur le lien entre le mécanisme de la manipulation et les grands changements sociaux de notre époque. Si l’égalité formelle progresse — accès au travail, autonomie financière, contraception, divorce facilité —, l’égalité réelle dans les couples reste à construire. Les études sociologiques montrent que les femmes continuent d’assumer l’essentiel de la charge mentale du foyer, même quand elles travaillent autant que leur conjoint.

Cette « double journée » — travail professionnel le jour, travail domestique le soir — crée une fatigue chronique qui rend les femmes plus vulnérables à la manipulation. Épuisées, elles n’ont plus l’énergie de résister, de négocier, de poser des limites. Le pervers narcissique exploite consciemment cette fatigue. Il crée délibérément des situations qui augmentent la charge de sa partenaire — désordre, rendez-vous oubliés, promesses non tenues — puis la critique pour être « stressée », « toujours fatiguée », « pas assez disponible ». Mélanie témoigne : « Il ne faisait rien à la maison, mais c’était moi qui étais accusée d’être désorganisée quand la maison était en désordre. »

Le paradoxe de l’indépendance

Paradoxalement, l’indépendance économique des femmes, si elle offre une possibilité de sortie des relations toxiques, crée aussi de nouvelles formes de culpabilisation. « Tu travailles, tu as ton propre argent, tu es libre — si tu n’es pas heureuse, c’est ta faute », entend-on souvent. Cette injonction à la responsabilité individuelle masque les dynamiques de pouvoir qui persistent dans le couple. Une femme peut être économiquement indépendante tout en étant psychologiquement soumise, emprisonnée dans un réseau de manipulations qui la maintiennent sous emprise.

Le pervers narcissique sait utiliser l’indépendance de sa partenaire contre elle. Il la valorise au début (« J’aime que tu sois une femme forte et indépendante »), puis s’en sert pour la culpabiliser (« Avec tout ce que tu gagnes, tu pourrais au moins payer ta part », alors qu’il gagne le double) ou pour minimiser la violence qu’elle subit (« Si c’est si terrible, pourquoi tu ne pars pas ? Tu es libre ! »). Cette liberté n’est qu’apparente : les liens psychologiques, la destruction de l’estime de soi, l’isolement social progressif créent une prison invisible mais tout aussi efficace que les contraintes légales d’autrefois.

Vers une vraie égalité ?

La question demeure : les transformations sociales actuelles permettront-elles l’émergence de rapports de couple vraiment égalitaires, ou servent-elles simplement à masquer de nouvelles formes de domination sous des discours progressistes ? La réponse n’est pas univoque. Certains couples parviennent effectivement à construire des relations paritaires, où les deux partenaires partagent équitablement non seulement les tâches, mais aussi le pouvoir de décision, l’espace de parole, la reconnaissance mutuelle.

Mais pour beaucoup d’autres, l’égalité reste un vernis qui dissimule des rapports de force inchangés. Le défi du couple contemporain est donc double : profiter des acquis de l’émancipation féminine pour construire de vraies relations égalitaires, tout en restant vigilant face aux nouvelles formes de manipulation qui prospèrent précisément sur le flou normatif de notre époque. Comprendre les mécanismes du pouvoir dans le couple, c’est se donner les moyens de les déjouer — ou au moins de les identifier pour ce qu’ils sont : non pas des « difficultés normales », mais des stratégies délibérées de domination qui n’ont rien à faire dans une relation saine.

Conclusion : Pouvoir partagé ou pouvoir confisqué ?

Le parcours du pouvoir dans le couple — de la maternité à la complémentarité, de la complémentarité à l’inégalité, de l’inégalité à la domination — n’est pas linéaire ni achevé. Les transformations sociales des dernières décennies ont bouleversé les rapports traditionnels entre hommes et femmes, offrant des possibilités d’émancipation sans précédent. Mais ces transformations ont aussi créé de nouvelles zones d’incertitude où la manipulation peut s’exercer sous des formes renouvelées.

La disparition des structures patriarcales explicites ne signifie pas la fin de la domination masculine — elle impose simplement à cette domination de trouver des chemins plus détournés, plus subtils, plus difficiles à nommer. Le pervers narcissique est l’expression contemporaine de cette domination qui ne dit pas son nom, qui se pare des atours de la modernité tout en perpétuant les mécanismes les plus archaïques de contrôle et de soumission de l’autre.

Reconnaître les jeux de pouvoir dans le couple, c’est se donner les moyens de les transformer. Un couple sain ne nie pas l’existence du pouvoir — il le partage équitablement. Les décisions importantes sont prises ensemble, les tâches sont réparties selon les capacités et les désirs de chacun, la charge mentale est assumée collectivement, la parole est équitablement distribuée. Chacun reconnaît l’apport de l’autre et valorise sa contribution. Personne n’est en position de domination permanente.

À l’inverse, le couple avec un pervers narcissique est structuré autour d’une asymétrie fondamentale et invariable : l’un détient tout le pouvoir, l’autre le subit. Cette asymétrie se masque derrière des discours d’égalité, des gestes de façade, des périodes d’accalmie — mais elle est toujours là, structurante, destructrice. Pour les victimes, comprendre cette dynamique de pouvoir est souvent le premier pas vers la libération. Non, ce n’est pas « normal » que toutes les décisions soient prises par l’autre. Non, ce n’est pas « de votre faute » si vous vous sentez diminuée. Non, l’égalité proclamée ne suffit pas — c’est l’égalité vécue qui compte. Et si le pouvoir dans votre couple est systématiquement confisqué par l’un au détriment de l’autre, alors vous n’êtes pas dans un couple moderne et égalitaire — vous êtes sous emprise.

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FAQ : Questions fréquentes sur le pouvoir dans le couple

Les rapports de pouvoir existent-ils dans tous les couples ou seulement dans les relations toxiques ?

Les rapports de pouvoir existent dans tous les couples sans exception, mais leur nature diffère radicalement entre relations saines et relations toxiques. Dans un couple sain, le pouvoir circule, se partage, se négocie en permanence. Tantôt l’un prend une décision importante, tantôt l’autre. Parfois l’un a besoin de soutien et l’autre le fournit ; puis les rôles s’inversent. Le pouvoir n’est pas figé dans une structure hiérarchique permanente — il se déplace selon les contextes, les compétences, les besoins du moment.

Dans une relation toxique avec un pervers narcissique, au contraire, le pouvoir est monopolisé de façon stable et unilatérale. Le manipulateur détient tout le pouvoir de décision, toute la légitimité à parler, toute la capacité à définir ce qui est vrai ou faux, bien ou mal. La victime est systématiquement en position basse, quelle que soit la situation. Cette asymétrie fondamentale ne se négocie jamais, ne se renverse jamais — elle est la structure même de la relation. Même quand le manipulateur feint de consulter sa partenaire, de prendre en compte son avis, c’est une mise en scène : la décision finale lui revient toujours, et si sa partenaire ose s’opposer, elle subira des représailles psychologiques.

La question n’est donc pas « Y a-t-il du pouvoir dans votre couple ? » (la réponse est toujours oui), mais « Comment ce pouvoir se distribue-t-il ? » Si vous constatez que c’est systématiquement la même personne qui décide, qui a raison, qui impose ses choix, ses humeurs, ses priorités — alors vous n’êtes pas dans une négociation normale du pouvoir, vous êtes face à une domination perverse.

Comment le pervers narcissique utilise-t-il l’évolution des rapports hommes-femmes pour manipuler ?

Le pervers narcissique est remarquablement adaptable : il utilise le contexte social de son époque pour justifier ses comportements. Dans une société traditionnelle et patriarcale, il invoquait son statut de chef de famille pour légitimer sa domination. Dans notre société contemporaine qui valorise l’égalité, il se présente comme progressiste et féministe pour mieux masquer ses véritables intentions. Cette adaptation est l’une des raisons pour lesquelles il est si difficile de l’identifier.

Concrètement, il détourne les valeurs égalitaires à son profit de plusieurs façons. Premièrement, il proclame haut et fort son respect pour l’indépendance de sa partenaire — puis sabote systématiquement cette indépendance par des moyens détournés. Il l’encourage à travailler, puis la critique pour négliger la maison. Il affirme qu’elle doit « s’épanouir », puis dévalorise toutes ses réalisations. Il prétend vouloir qu’elle soit « forte », puis la punit quand elle affirme ses désirs.

Deuxièmement, il utilise le discours de l’autonomie pour échapper à toute responsabilité. « Chacun sa vie » devient un alibi pour ses absences, ses infidélités, son désengagement. « Tu es assez grande pour te débrouiller » justifie son absence de soutien quand elle traverse des difficultés. « Je ne vais pas t’empêcher de vivre » légitime son refus de tout compromis. Troisièmement, il retourne les revendications féministes contre les femmes : « Tu voulais l’égalité ? Eh bien paie ta part ! » (alors qu’elle gagne trois fois moins que lui et assume seule les enfants). « Tu es féministe, alors assume ! » (quand elle se plaint de faire 100% des tâches ménagères).

Cette instrumentalisation du féminisme et de l’égalité rend la manipulation particulièrement insidieuse. La victime ne peut pas se plaindre sans craindre de passer pour une femme rétrograde qui veut « retourner aux années 1950 ». Elle intériorise le discours du manipulateur et se culpabilise de ne pas être assez « forte », « indépendante », « moderne ». Flora raconte : « Il me reprochait d’être “dans des schémas patriarcaux” quand je lui demandais de partager les tâches ménagères. Il me disait que je “reproduisais les stéréotypes de genre” quand je voulais qu’il s’occupe davantage de ses enfants. J’ai fini par ne plus oser rien demander. »

La répartition traditionnelle des rôles dans le couple est-elle toujours problématique ?

Non, la répartition traditionnelle des rôles (par exemple, madame s’occupe de la maison et des enfants pendant que monsieur travaille) n’est pas problématique en soi — elle le devient quand elle est imposée plutôt que choisie, quand elle s’accompagne d’une dévalorisation du travail féminin, ou quand elle emprisonne les partenaires dans des rôles dont ils ne peuvent sortir. Ce qui définit une répartition saine, ce n’est pas sa conformité à un modèle « moderne » ou « traditionnel » — c’est qu’elle soit le fruit d’un choix réciproque et réversible.

Certains couples fonctionnent très bien avec une répartition traditionnelle des tâches, si cette répartition correspond aux désirs et aux compétences de chacun, si elle est reconnue et valorisée par les deux partenaires, et si elle peut évoluer selon les circonstances. Si madame choisit librement de rester au foyer, si ce choix est respecté et valorisé par son conjoint, si le travail domestique et parental est reconnu comme une contribution essentielle au couple, si elle peut reprendre une activité professionnelle quand elle le souhaite — alors cette configuration n’a rien de toxique.

Le problème surgit quand cette répartition est imposée (« Une vraie femme reste à la maison »), dévalorisée (« Tu ne fais rien de ta journée »), ou utilisée pour maintenir une dépendance (« Tu n’as aucune qualification, tu ne trouveras jamais de travail, tu as besoin de moi »). Avec un pervers narcissique, même une répartition traditionnelle librement choisie au départ devient un instrument d’emprise. Il utilisera la dépendance économique créée pour maintenir sa partenaire sous contrôle, la critiquera pour ne « rien faire » tout en lui interdisant de travailler, la menacera de la « jeter à la rue » lors des disputes.

L’inverse est également vrai : un couple qui adopte un modèle ultra-moderne (carrières égales, partage strict des tâches, indépendance financière totale) peut être tout aussi toxique si ces principes servent à masquer une domination psychologique. Le manipulateur peut utiliser l’égalité formelle pour nier l’inégalité réelle : « On gagne autant, on partage tout à 50/50, donc tu n’as aucune raison de te plaindre » — alors que dans les faits, elle assume toute la charge mentale, toute l’organisation, tout l’ajustement au quotidien. La question n’est donc pas « quel modèle de couple ? » mais « ce modèle est-il choisi, respecté, équitable ? »

Comment retrouver son pouvoir après une relation où on a été dominé ?

Retrouver son pouvoir après une relation d’emprise avec un pervers narcissique est un processus long et complexe qui nécessite généralement un accompagnement thérapeutique spécialisé. La domination perverse ne se limite pas à un contrôle extérieur — elle s’installe dans la psyché de la victime, qui a progressivement intériorisé le regard dévalorisant du manipulateur. Même après la séparation, sa voix continue de résonner : « Tu es nulle », « Tu n’y arriveras jamais seule », « Personne d’autre ne voudra de toi ». Le premier travail consiste donc à identifier et déconstruire ces messages toxiques qui ont colonisé l’esprit.

Le pouvoir perdu pendant la relation était de plusieurs ordres : pouvoir de décision (c’est lui qui décidait de tout), pouvoir de parole (votre avis ne comptait pas), pouvoir de définir la réalité (c’est sa version des événements qui prévalait), pouvoir sur votre propre vie (il contrôlait vos fréquentations, vos activités, vos choix). Reprendre pouvoir suppose donc de reconquérir ces différentes dimensions, pas à pas. Commencer par prendre de petites décisions seule — où manger, quel film regarder, comment organiser son week-end. Ces décisions peuvent sembler triviales, mais pour quelqu’un qui a perdu l’habitude de choisir, elles représentent un défi considérable.

Reprendre la parole est également crucial. Dans la relation d’emprise, votre parole a été systématiquement dénigrée, contredite, tournée en ridicule. Vous avez appris à vous taire pour éviter les représailles. Il faut réapprendre à exprimer vos opinions, vos besoins, vos désaccords — d’abord dans un cadre sécurisé (thérapie, groupes de parole), puis progressivement dans votre vie quotidienne. Cela suppose d’accepter que votre parole a de la valeur, que votre perception de la réalité est légitime, que vous avez le droit de dire « non » sans vous justifier à l’infini.

Reprendre pouvoir sur votre vie passe aussi par des aspects très concrets : autonomie financière si vous ne l’aviez plus, reconstruction d’un réseau social, nouvelles activités, projets personnels. Chaque petite victoire — avoir renoué avec une amie, avoir trouvé un travail, avoir fait un voyage seule, avoir pris une décision importante — reconstruit petit à petit votre sentiment d’agentivité, cette conviction que vous pouvez agir sur votre vie plutôt que la subir. La reconstruction n’est pas linéaire : il y aura des rechutes, des moments de doute, des retours en arrière. Mais chaque pas compte, et avec le temps et le soutien adéquat, il est possible de retrouver non seulement le pouvoir qu’on avait avant la relation toxique, mais un pouvoir plus solide encore, fondé sur une meilleure connaissance de soi et de ses limites.

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