Épisode 8 : Un jeu, des enjeux

L’enjeu personnel : équilibre + stabilité = sérénité

Le premier mot qui semble s’appliquer à ce que chacun d’entre nous attend d’une relation de couple est celui de « complétude ». Non au sens mathématique du terme, mais au sens figuré, dans une acceptation globale, « ronde ». L’autre me complète, non seulement parce qu’il m’apporte ce qui me manque, mais aussi parce que mon identité se modifie dans le creuset affectif de la relation : il faut une part de « narcissisation » réciproque pour qu’un couple se construise. Le manipulateur pervers, quant à lui, s’auto-narcissise en prenant tout à l’autre, mais sans rien donner en retour.

La relation permet d’élaborer de la substance supplémentaire : dans le couple, « je » me crée. Il s’agit d’un mécanisme interactif, car c’est par le biais du lien que je me construis en partie, que je « m’enrichis »… Le fait que chacun renvoie à l’autre une image positive assure le bon déroulement de la relation qui s’est établie. L’identité change et évolue même de façon visible « à l’extérieur » : la femme prend le nom de son mari, on ne l’appelle plus « mademoiselle » mais « madame », etc.

Le deuxième mot clé d’une relation est « projection ». Le couple permet aussi de se projeter, c’est-à-dire d’envisager l’avenir. Cela n’empêchera pas la séparation si elle doit intervenir, bien sûr… Cette projection signifie, au niveau affectif, que l’on y croit, que chaque partenaire visualise ce couple (et donc lui-même) dans des situations futures. Les enfants relèvent de cette démarche projective et en sont – en partie – l’accomplissement concret. Mais se projeter, cela concerne aussi – beaucoup – le plan purement matériel : c’est l’enjeu de la construction qui est elle-même une forme d’enfantement en ce sens qu’elle est « productive ».

L’enjeu économique et matériel : construire, évoluer, s’élever dans l’échelle sociale

Le couple stimule à la fois les projets communs et personnels. Même si l’on n’a pas de certitudes, on se lance, on s’élance vers l’avenir. La part d’individuel est importante. Par exemple, l’homme et la femme peuvent chacun conserver leur compte bancaire, même lorsqu’un compte commun est créé, pour gérer les frais à partager équitablement au sein du ménage. Du temps de nos grands-parents, tout était à l’homme ; puis s’est répandu l’usage de tout partager : tout appartenait aux deux. Maintenant, on ne met plus tout en commun. Cependant, les enjeux de tout couple restent assez traditionnels, bien que s’inscrivant dans un contexte contemporain. Le « nid » reste une valeur sûre. Il existe quelque chose d’instinctif, de presque régressif ou d’animal, dans cette recherche de sécurité à travers la construction d’une relation affective et d’un lieu où la situer, comme si cela venait faire écho à une sécurité perdue. À partir du moment où il y a un couple « avéré », les désirs – avec des variantes – portent vers des objectifs similaires. On loue un appartement « ensemble », on souscrit un prêt dans le but de devenir propriétaires, on achète des meubles… Le fait d’avoir des objets en commun a d’ailleurs une forte valeur symbolique qui à la fois cimente la relation et fait surgir des tensions : on ne voit jamais autant de couples se disputer que dans les magasins de meubles ! La forte signification symbolique de « l’avoir ensemble » est également source de frictions. Ce qui plaît à l’un n’est pas forcément du goût de l’autre : ici survient le tiraillement entre ce que l’on désire construire (« du » commun) et la nécessité de rester soi-même, et donc de ne pas renoncer à ses propres choix. Il est difficile pour le couple de construire ce patrimoine aussi bien matériel qu’affectif qui sera sa marque de fabrique, l’empreinte unique de chaque couple. Au détour des méandres qui mènent à cet accomplissement s’installent les rapports de force et, parfois, la manipulation.

Psychopathologie de la vie quotidienne

Dans le champ de la psychanalyse, nous assistons depuis quelques décennies à l’émergence de nouvelles pathologies, tout simplement parce que le monde change, les relations humaines se modifient et nous souffrons différemment, sous de nouvelles formes.

Même si les grandes catégories pathologiques restent de mise (névroses, psychoses et perversions), elles ne sont plus aussi marquées, identifiables. Des troubles comme la dépression et son corollaire, la difficulté à s’aimer soi-même, occupent désormais le devant de la scène. Les blessures narcissiques apparaissent logiquement dans un monde où chacun est centré sur soi. Et la recherche incessante de satisfactions personnelles à travers l’utilisation de l’autre fait partie des relations entre les individus d’aujourd’hui. Les expressions de notre inconscient (lapsus, oubli de noms propres, etc.) vont bien au-delà de la Psychopathologie de la vie quotidienne écrite par Freud en 1901 et nous pourrions y inclure toutes les manipulations qui nous « échappent » régulièrement dans la vie de tous les jours. Prenons l’exemple du langage : nous ne pouvons pas dire que l’utilisation de la forme interro-négative (par exemple : « Ne voudrais-tu pas sortir ce soir ? ») soit un lapsus ; pourtant, elle induit une réponse de la part de celui qui la pose, elle est l’expression d’un désir inconscient au même titre que les autres actes manqués.

Episode suivant : l’art de la dispute et les ficelles de la manipulation

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