En 2010, je sortais mon premier livre sur la perversion narcissique : « La manipulation affective dans le couple, faire face à un pervers narcissique ». Depuis, le retentissement de cet ouvrage, ainsi que l’audience de ce site, m’amènent, avec toute mon équipe, à assister un nombre toujours plus croissant de victimes. Parce qu’il nous est difficile de répondre aux questions de chacun, j’ai souhaité, sous le format de cette interview, reprendre celles qui me sont le plus posées. En espérant que mes réponses aident beaucoup d’entre vous à comprendre qu’il y a une lumière au bout du tunnel et qu’un type du comportement toxique chez l’autre, quel qu’il soit, ne doit pas vous convaincre de vous laisser voler ce que vous avez de plus précieux : vous-mêmes.
Qu’est-ce que la perversion narcissique en 2024 ?
Ma définition de la perversion narcissique aujourd’hui est à resituer dans un contexte sociologique et historique, sociétal et psychologique.
Le pervers narcissique d’aujourd’hui est l’héritier du Chef de famille qui a perduré jusqu’en 1970 en France. Rappelons que jusqu’en 1965 les femmes en France n’avaient pas le droit d’ouvrir de compte en banque ou de choisir une profession sans l’autorisation de leur mari !
Tout le monde parle et observe la montée des enjeux narcissiques dans la société d’aujourd’hui. On se prend en photo devant un joli paysage, devant la Joconde, mais ce n’est ni le joli paysage, ni la Joconde que l’on prend en photo, c’est soi-même.
Mon interprétation de ces phénomènes est que ceux qui ont perdu leur pouvoir sur les autres par l’évolution de la loi, ceux qui d’enfant roi deviennent des tyrans domestiques, ceux qui délivrent comme messages : Moi, Moi, Moi, tous ceux-là, viennent nourrir une évolution des pathologies dans ce sens. La psychopathologie évolue avec la société. Elle n’est pas la même à différentes époques de l’histoire ou dans différentes régions du monde.
Il y a eu une évolution de la notion de perversion, qui, en 1900 ne concernait que le sexuel, on ne décrivait que des perversions sexuelles à, aujourd’hui, la notion de perversion relationnelle.
Les pervers narcissiques conjuguent deux pathologies croisées, la perversion et une pathologie narcissique. Pour eux, il n’y a pas d’autre, il n’y a qu’eux Tout-Puissants, et tous les objets avec lesquels ils vont pouvoir jouer pour se satisfaire.
Quelles sont les principales difficultés qui empêchent d’en sortir ?
Les difficultés sont d’ordre personnel, psychologique et social.
On peut résumer la réponse : la dépendance.
La dépendance à l’autre.
Elle peut être matérielle, lorsqu’on partage la propriété d’un logement.
Elle est toujours affective, quand, sans l’autre on pense être vide, comme si un abîme intérieur s’ouvrait en nous, comme si le manque de l’autre était un manque de nous-même.
Elle peut être sociale, le pervers narcissique ayant passé beaucoup de temps à ne conserver autour de vous que des aficionados qu’il transforme en complices et outils de sa puissance sur vous.
Tout cela donne l’impression que l’on a beaucoup à perdre en le quittant.
Ce que l’on ne mesure pas, c’est tout ce que l’on a à gagner…
4 conseils à une victime pour sortir de ce type de schéma relationnel
- Comme je l’ai écrit dans mon ouvrage déjà en 2010 : « on ne vole pas une caisse vide ». Le pervers narcissique vous fait croire que vous n’êtes rien, voire moins que rien. Mais s’il s’est intéressé à vous, c’est qu’il voulait vous vampiriser ! Il avait donc quelque chose à vous prendre, quelque chose dont il allait se nourrir. C’est votre richesse intérieure, votre empathie, vos affects. Ces richesses là font partie de ce que vous êtes. Vous avez le sentiment de vous en être éloigné, retrouvez le chemin qui y mène…
- Il est nécessaire de se faire aider pour en sortir. D’abord pour trouver le soutien de professionnels qui connaissent la question, parce qu’en fait, ils sont tellement prévisibles quand on les connait…
- La formule sur laquelle on peut s’appuyer (je ne dis pas que c’est simple) : il n’a que le pouvoir que vous lui donnez. La peur qu’il vous inspire lui donne son pouvoir. Reprenez le pouvoir sur vous-même !
- Une fois sorti de la relation, il faudra se reconstruire : redevenir soi-même !
Y a t’-il de plus en plus de pervers aujourd’hui, et si oui, dans quels milieux ?
Tous les milieux sont concernés ! À la nuance près que, dans certains milieux, on tape directement. Plus le milieu est « intellectuel » plus la violence est psychologiquement élaborée. Il faut bien considérer les coups psychologiques comme des coups, comme une véritable violence.
Dans certaines sociétés contemporaines, où l’homme (il s’agit souvent de lui) a déjà tous les pouvoirs, ce mode relationnel est institué et, je pense, fermement que, lorsqu’ils perdent ce statut au niveau de la loi, les hommes le retrouvent par d’autres moyens.
Quels sont les facteurs qui, autour de nous, la favorisent ?
L’évolution de nos sociétés, qui nous impose de plus en plus de performances : il faut être le plus beau, le plus fort, le plus performant. Ces nouvelles normes s’imposent comme une véritable tyrannie. Si vous ne répondez pas à ces exigences, vous n’êtes… rien. Pour ETRE, aujourd’hui, il faut PARAITRE ! Il y a plus de grandes marques dans les cités que dans la ville : là où l’on n’a pas le sentiment d’exister, il faut prouver sa valeur par l’image.
Il y a aussi dans ce monde, une exigence de perfection qui crée une souffrance narcissique. Elle est au cœur de la relation entre un pervers narcissique et sa proie.
Comment ne plus tomber sur ce type de partenaire ?
C’est une question que toutes les victimes se posent, car on me dit souvent : « je les attire » !
Ce n’est pas tout à fait exact. Tout le monde en croise, certains, à certains moments de leur vie les laissent s’approcher et se font prendre dans la toile d’araignée qui leur est tendue.
Pourtant, les victimes ont un nouvel atout aujourd’hui, car elles savent que ces personnalités existent et le travail sur soi aura permis d’identifier les mécanismes, les points d’entrée et donc là où doit se porter la vigilance lors d’une rencontre.
Une fois sortie de l’emprise, de la relation toxique, se pose la question de ce qui, en nous, a permis à l’Autre de prendre le pouvoir.
On me demande souvent : « comment j’ai pu supporter TOUT ça » ?
Il faut être prudent avec cette question, ce qui apparaît en fin de relation, c’est le total, l’addition de tout ce que l’on a subi. On a vécu la maltraitance au jour le jour, une « petite » chose après l’autre.
Après la relation, il est classique de se dire que l’on ne pourra plus jamais faire confiance, que c’en est fini. A quoi je réponds que jusqu’à présent vous donniez votre confiance de façon aveugle, entière et totale. Ce qui va changer, ce qui doit changer, c’est que dorénavant, vous ne la donnerez que quand l’autre sera digne de cette confiance. Et elle doit maintenant se gagner.
Ce qu’il faut changer en soi, c’est ce qui donne du pouvoir à l’autre, c’est cette « faille narcissique » dont on parle souvent, soit cette souffrance en vous qui donne à autrui lettre de cachet pour vous maltraiter. Souvent tapie dans l’inconscient depuis de longues années, la rencontre avec le pervers la révèle et la met à nu pour vous permettre d’y remédier. En vous réparant de cette relation, c’est vous-même que vous réparez pour changer le cours de votre vie. Eh oui, la thérapie est une seconde chance, même si cela reste avant tout un vrai travail sur soi-même : raison pour laquelle, je me tiens avec mon équipe auprès de tous celles et ceux réellement prêts à le faire.