Avoir une mère perverse narcissique est l’une des situations les plus toxiques et les plus dévastatrices que l’on puisse subir sur le plan psychologique. Le lien mère-enfant représente la matrice fondamentale du développement psychique — c’est dans cette relation primordiale que se construit l’identité, la sécurité affective, la capacité à faire confiance au monde et à soi-même. Quand cette figure d’attachement essentielle est elle-même la source du danger, de l’imprévisibilité, de la cruauté psychologique, les dégâts sont profonds et durables. Les conséquences peuvent perdurer toute une vie chez l’individu qui n’arrive pas à sortir de cette emprise originelle. Cette situation particulière nécessite une compréhension approfondie des mécanismes à l’œuvre et des chemins possibles vers la libération. Ce n’est pas simplement une « relation difficile » ou une « mère imparfaite » — c’est une violence psychologique systématique qui détruit l’enfant de l’intérieur, le privant du droit fondamental d’exister comme un individu distinct, avec ses propres besoins, émotions et aspirations.
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L’importance cruciale de l’attachement primaire
L’attachement primaire d’un enfant à sa mère est primordial pour que son développement se déroule dans l’harmonie et dans la sécurité. Selon Winnicott, les capacités de sollicitude d’une mère représentent le soutien essentiel du Moi de l’enfant. Ce pédiatre et psychanalyste a développé le concept de « préoccupation maternelle primaire » — cet état psychique particulier où la mère est naturellement absorbée par les besoins de son bébé, capable d’une empathie quasi fusionnelle qui lui permet de répondre de façon appropriée aux signaux de l’enfant.
Or, qu’en est-il avec une mère perverse narcissique et manipulatrice ? Uniquement centrée sur sa personne, elle dynamite chez l’enfant le socle de sécurité affective indispensable à sa construction psychologique. En bonne narcissique, seuls ses besoins à elle comptent. Ses enfants sont, par conséquent, des extensions d’elle-même chargés de porter et de supporter tous ses affects et son narcissisme. Ils ne sont pas reconnus comme des individus à part entière, mais comme des objets destinés à réguler ses propres états internes, à remplir ses vides narcissiques, à maintenir son image grandiose.
Un dieu tyrannique pour parent
Elle sera donc une source d’insécurité primaire pour eux, tant elle exigera d’eux, tout en n’étant jamais satisfaite. Avoir une mère narcissique, c’est un peu comme avoir un dieu tyrannique pour parent : elle est parfaite, inaccessible, imprévisible, arbitraire et insatisfaite. L’enfant vit dans une tension permanente, ne sachant jamais ce qui va déclencher sa colère, son mépris ou son indifférence glaciale. Il n’existe pas de règles cohérentes — ce qui était acceptable hier peut être puni sévèrement aujourd’hui, selon l’humeur capricieuse de la mère.
Cette mère va donc nourrir son narcissisme et sa propre grandeur au détriment de son enfant. Dans le secret de son foyer, elle s’ingénie à briser ses qualités, à le soumettre inlassablement à la critique et ne prononce jamais un mot d’encouragement. Rien n’est jamais assez bien pour elle, son amour ne sera donné qu’à la condition d’objectifs impossibles à atteindre. L’enfant apprend que l’amour n’est pas un droit, mais une récompense constamment différée, toujours conditionnelle, jamais vraiment accessible.
Le message dévastateur
Ce fonctionnement transmet un message dévastateur à l’enfant : il n’est jamais assez bien pour sa mère, et donc, plus tard, jamais assez bien pour l’autre. Prisonniers des rêves mégalomanes de sa mère, l’enfant ne se sent jamais légitime et le rejet qu’il intériorise le poursuivra toute sa vie. Ce sentiment d’inadéquation fondamentale devient le prisme à travers lequel il interprète toutes ses expériences futures — ses succès sont minimisés (« j’ai eu de la chance »), ses échecs sont amplifiés (« preuve que je suis nul »), ses qualités sont invisibles à ses propres yeux.
S’il lui arrive d’être reconnu, complimenté à l’extérieur, la mère narcissique brisera aussitôt en lui tout germe d’amour-propre. Car cette mère lui interdit de se sentir aimé et ne veut pas qu’il soit reconnu par ses pairs. Elle étouffe sa personnalité très tôt, semant en lui le doute et les ferments de l’angoisse et de la dépréciation de soi. Quand un professeur le félicite, elle trouvera un moyen de dévaloriser cette réussite (« Si tu avais vraiment travaillé, tu aurais eu encore mieux »). Quand un ami lui manifeste de l’affection, elle insinuera que cet ami profite de lui ou se moque secrètement de lui.
Constance témoigne : « Ma mère était jalouse de tout ce qui m’arrivait de bien. Quand j’ai eu mon bac avec mention, elle a dit devant toute la famille : “Bon, c’était pas non plus un exploit, le niveau baisse chaque année.” J’ai compris ce jour-là qu’elle ne serait jamais fière de moi. »
L’invalidation permanente
Les enfants d’une mère perverse narcissique ne peuvent donc survivre qu’au prix d’une course infinie vers la satisfaction des attentes de cette mère jamais satisfaite. Elle invalide son enfant dans tout ce qu’il ressent, car ce qu’elle tolère le moins, est bien qu’il s’exprime. Toute manifestation d’individualité — préférences, opinions, émotions authentiques — est perçue comme une menace à son contrôle et sera immédiatement réprimée.
Là est certainement l’un de ses pires pouvoirs, soit celui de frapper d’illégitimité tout ce qui émane d’eux : tendresse, tristesse, joie, chagrin… En les blessant systématiquement dans leurs sentiments, elle exploite leur détresse pour les manipuler, le but étant de leur faire ressentir ce qu’elle ressent, soit d’en faire de parfaits petits automates. La conformité est obtenue grâce à l’humiliation, la honte et la culpabilité.
Les conséquences psychologiques sont énormes pour un enfant. Il peinera plus tard à reconnaître ses propres émotions et à savoir ce qui est bon pour lui. Il n’y a pas seulement vol d’estime de soi, mais aussi vol d’identité. L’enfant perd l’accès à sa propre expérience intérieure. Il ne sait plus ce qu’il ressent vraiment, ce qu’il désire vraiment, qui il est vraiment — car toute son énergie psychique a été mobilisée pour anticiper, gérer, apaiser les humeurs imprévisibles de sa mère.
Le double bind : l’injonction paradoxale
La mère perverse narcissique est également experte dans l’utilisation du double bind — ces injonctions contradictoires qui rendent fou. Elle exige que l’enfant soit autonome mais le punit quand il prend des initiatives. Elle se plaint qu’il ne partage rien avec elle mais le ridiculise quand il se confie. Elle lui dit qu’elle veut son bonheur mais sabote systématiquement tout ce qui pourrait le rendre heureux. L’enfant ne peut jamais « gagner » — quelle que soit son action, elle sera jugée inadéquate.
Ce système de communication pathologique crée une confusion cognitive profonde chez l’enfant. Il apprend à douter de sa propre perception de la réalité. « Ma mère me dit qu’elle m’aime, mais pourquoi suis-je si malheureux alors ? » « Elle dit qu’elle fait tout pour mon bien, mais pourquoi ça me fait si mal ? » Cette dissonance cognitive est l’un des aspects les plus destructeurs de cette forme de maltraitance psychologique.
Les attitudes courantes des mères perverses narcissiques
Les mères perverses narcissiques ne se ressemblent pas toutes, mais toutes ont un certain nombre de traits communs qui caractérisent leur mode de relation à l’enfant. Reconnaître ces patterns peut aider à sortir de la confusion et de la culpabilité — non, vous n’êtes pas trop sensible, non, ce n’est pas normal, oui, c’était vraiment aussi destructeur que vous le ressentez.
L’indisponibilité affective chronique
Elles ne sont ni disponibles, ni affectueuses, ni présentes auprès de leurs enfants. Elles n’aiment pas être mères, car cela leur coûte du temps et représente trop d’obligations. La négligence et le manque de soins ne sont pas rares. Elles ne se sentent pas responsables des enfants, et leur font sentir qu’ils dérangent. Quand ils grandissent, elles leur reprocheront d’être nés, comme si leur simple existence était une faute impardonnable.
Cette indisponibilité n’est pas occasionnelle — elle est structurelle. L’enfant apprend très tôt que ses besoins ne seront pas satisfaits, que son chagrin sera ignoré ou ridiculisé, que sa joie sera éteinte. Il développe des stratégies de survie : ne rien demander, ne rien montrer, se faire tout petit. Certains enfants deviennent hypervigilants, tentant constamment d’évaluer l’humeur maternelle pour éviter les explosions. D’autres se dissocient, se réfugiant dans un monde intérieur pour échapper à la douleur.
Flora se souvient : « Je suis tombée de vélo à 8 ans, je saignais du genou. Quand je suis rentrée en pleurant, ma mère m’a regardée avec agacement et m’a dit : “Tu me fatigues avec tes drames. Va te débrouiller.” J’ai compris ce jour-là que je ne pouvais compter que sur moi. »
La violation de l’intimité
Elles ont aussi en commun le fait de ne jamais respecter ni l’intimité, ni la fragilité de l’enfant. Elles vont sans ménagement violer ses secrets, lire son journal intime et avoir avec lui des propos d’adulte. Il n’y a pas de barrière de l’âge avec elles. L’enfant n’a droit à aucun espace privé, aucune pensée qui ne soit connue et contrôlée par la mère. Portes interdites, fouilles systématiques des affaires, interrogatoires sur ses amitiés, ses sentiments, ses activités.
Cette invasion constante empêche le développement d’une identité séparée. L’enfant ne sait pas où il finit et où sa mère commence. Il intériorise la présence maternelle comme une surveillance interne permanente — même adulte, il aura l’impression qu’elle « sait » tout, qu’elle « voit » tout, qu’il ne peut rien lui cacher. Cette confusion des limites est particulièrement visible dans les comportements incestuels qui caractérisent souvent ces relations.
La relation fusionnelle avec les fils
Elles fusionnent de façon incestuelle avec leurs fils en les assimilant à de vrais partenaires, ce qui les enferme dans l’Œdipe et soude leur dépendance. Le fils devient le « petit mari », le confident, celui qui doit combler le vide laissé par un père souvent effacé ou absent. On lui confie des secrets d’adulte, on le charge de responsabilités émotionnelles qu’il n’a pas la maturité de porter, on fait de lui le centre de l’univers maternel.
De même, l’objet d’affection de leur fille adolescente sera pour elles un objet de désir, dont la possession leur permet de triompher dans le duel narcissique qui les oppose à l’enfant. La mère entre en compétition avec sa fille sur le plan de la séduction, flirtant avec le petit ami de celle-ci, se comportant comme une rivale plutôt que comme une figure protectrice. Cette compétition mère-fille est particulièrement destructrice pour le développement de l’identité féminine de la jeune fille.
Le traitement inégal des enfants
Enfin, tous les enfants d’une mère narcissique ne sont pas égaux à ses yeux. Bien qu’elle s’en défende, c’est une mère qui fait des différences et des comparaisons. Elle crée ainsi des rivalités et exacerbe les jalousies. Elle s’arrange pour que tous se disputent ses bonnes grâces, car de la sorte, elle divise pour mieux régner. Les enfants, au lieu de former une alliance protectrice face à la mère toxique, sont montés les uns contre les autres.
Ce traitement inégal de chacun a aussi un autre fondement : elle fait sa « sélection » dans ses enfants. Il y a ceux qui n’ont, pour ainsi dire, aucune existence à ses yeux — souvent appelés « boucs émissaires » — et ceux qu’elle favorise — les « enfants dorés » — car elle ambitionne d’en faire ses « héritiers », soit de les couler dans le moule de la perversion narcissique. Paradoxalement, aucun de ces deux rôles n’est enviable : le bouc émissaire subit maltraitance et rejet, mais l’enfant doré paie le prix d’une fusion étouffante et d’une pression écrasante à performer.
Maud explique : « J’étais l’enfant doré, mon frère le bouc émissaire. On pensait que j’étais chanceuse, mais je portais le poids de ses attentes impossibles. Mon frère au moins pouvait la détester — moi je devais l’adorer alors qu’elle m’étouffait. »
La préférence pour les garçons
La mère perverse narcissique préfère en général pour cela ses garçons, qui sont pour elle de vrais faire-valoir. Elle entretient avec eux une relation fusionnelle, où ils deviennent ses confidents, responsables de ses moindres états d’âme. Le chantage affectif qu’elle met en place est omniprésent : ils ne peuvent rien faire sans elle, et elle ne peut « vivre » sans eux. Lorsqu’ils grandissent, elle les subordonne à ses besoins et contrôle leur vie et leurs unions.
Cette « préférence » pour les fils masque en réalité une forme d’instrumentalisation. Le fils devient le substitut du partenaire idéalisé que la mère n’a jamais eu — il doit la valoriser, la rassurer, combler ses vides affectifs. Toute tentative du fils de se séparer (relation amoureuse, projet professionnel éloigné, autonomie psychologique) sera vécue comme une trahison et combattue avec acharnement. La mère utilisera tous les outils de la manipulation : culpabilisation (« Après tout ce que j’ai fait pour toi »), victimisation (« Tu me tues », « Je vais mourir de chagrin »), chantage (menaces de déshéritage, de rupture), ou séduction (promesses, cadeaux, moments de « vraie » connexion qui maintiennent l’espoir).
Il résulte de cette configuration que la famille où règne une mère narcissique est une famille divisée, souvent conflictuelle. Les alliances se font et se défont selon les caprices maternels. Les secrets abondent. La communication authentique est impossible. Chacun marche sur des œufs, tentant de ne pas déclencher la prochaine crise. L’atmosphère est lourde de non-dits, de ressentiments, de trahisons. Les enfants grandissent dans un environnement de méfiance et de compétition plutôt que de solidarité et de soutien mutuel.
Les conséquences à l’âge adulte
Des troubles de l’attachement profonds
Le déficit d’estime de soi causé par les triangulations qu’elle crée amène des complexes d’infériorité chez les individus, qui risquent d’interpréter plus tard tout succès chez les autres comme une part de chance qui leur est refusée à eux. Mais au-delà de l’estime de soi, ce sont les troubles de l’attachement qui marquent le plus profondément ces adultes. Ayant grandi avec une figure d’attachement imprévisible et dangereuse, ils développent souvent un attachement désorganisé — simultanément désespérés de proximité et terrifiés par l’intimité.
Des individus psychologiquement incomplets
À l’âge adulte, les enfants d’une mère narcissique deviennent des individus psychologiquement incomplets, souffrant d’un manque chronique d’estime d’eux-mêmes, sujets à l’angoisse, à la dévalorisation et aux troubles dépressifs. Ils ont du mal à générer des émotions authentiques et ont tendance à l’isolement. Ce sentiment d’incomplétude n’est pas une métaphore — c’est une réalité psychologique vécue. Des parties entières du self n’ont pas pu se développer parce qu’elles étaient interdites, réprimées, ridiculisées dans l’enfance.
Ils restent aussi longtemps dans l’attente de la reconnaissance de cette mère pathologique, ravivant ainsi périodiquement auprès d’elle leurs blessures. C’est l’espoir tenace que « cette fois-ci sera différente », que « maintenant qu’elle vieillit, elle va changer », que « si je fais juste encore un effort, elle m’aimera enfin ». Cet espoir est compréhensible — qui peut renoncer complètement à l’amour maternel ? — mais il maintient l’adulte dans une position d’enfant suppliant, perpétuellement déçu.
Alice raconte : « J’ai eu mon doctorat à 35 ans. Je me suis dit que cette fois, elle serait fière. Elle n’est même pas venue à la soutenance. J’ai pleuré comme une enfant de 5 ans. »
La vulnérabilité aux relations toxiques
Ces adultes blessés deviennent souvent des proies idéales pour d’autres manipulateurs. Ayant appris que l’amour était conditionnel, imprévisible, mêlé de cruauté, ils ne reconnaissent pas les red flags dans leurs relations amoureuses ou amicales. Au contraire, l’alternance entre maltraitance et moments de « gentillesse » leur semble normale — c’est ce qu’ils ont toujours connu. Ils reproduisent inconsciemment le pattern relationnel de leur enfance, cherchant à « gagner » l’amour d’un partenaire aussi inaccessible émotionnellement que l’était leur mère.
De plus, n’ayant jamais appris à identifier et à honorer leurs propres besoins, ils tolèrent des comportements inacceptables. Leur boussole interne est cassée. Quand quelque chose les blesse, ils se demandent d’abord « Suis-je trop sensible ? » plutôt que « Ce comportement est-il acceptable ? » Ils se sentent responsables des émotions des autres (comme ils devaient gérer celles de leur mère), et négligent systématiquement leurs propres émotions.
Les difficultés relationnelles spécifiques
Les enfants de mères perverses narcissiques développent souvent des difficultés spécifiques dans leurs relations : – Difficulté à faire confiance (« Les gens qui disent m’aimer finissent toujours par me faire mal ») – Hypervigilance émotionnelle (constamment en train d’évaluer l’humeur de l’autre) – Difficulté à poser des limites (« Je n’ai pas le droit de dire non ») – Tendance au people-pleasing (« Si je suis parfaite, peut-être qu’on m’aimera ») – Peur de l’abandon (« Si je montre qui je suis vraiment, on me rejettera ») – Ou à l’inverse, évitement de l’intimité (« Personne ne peut m’atteindre si je reste seul ») – Difficulté à recevoir (« Je ne mérite pas qu’on soit gentil avec moi ») – Surinvestissement dans le rôle de sauveur (« Je dois réparer les autres »)
Ces patterns ne sont pas des « défauts de caractère » — ce sont des adaptations logiques à un environnement d’enfance pathologique. Un enfant qui grandit dans la jungle développe des réflexes de survie adaptés à la jungle. Le problème survient quand, devenu adulte, il continue à utiliser ces réflexes dans un environnement différent où ils ne sont plus nécessaires et deviennent même contre-productifs.
Le trauma intergénérationnel
Un aspect particulièrement douloureux est la transmission intergénérationnelle du trauma. Les enfants de mères perverses narcissiques, même avec les meilleures intentions du monde, peuvent reproduire certains patterns avec leurs propres enfants — non par malveillance, mais parce que c’est leur seul modèle de parentalité. Ils peuvent osciller entre deux extrêmes : soit reproduire la froideur et le contrôle de leur mère (« Je deviens ce que je déteste »), soit être tellement terrifiés de lui ressembler qu’ils tombent dans la permissivité totale et l’absence de limites.
Briser ce cycle nécessite un travail thérapeutique conscient et soutenu. Il faut d’abord reconnaître les patterns, puis apprendre activement des modes de relation différents, et enfin développer la compassion pour soi-même quand on fait des erreurs (ce qui est inévitable). Devenir parent quand on a été maltraité par sa propre mère est un défi immense qui requiert du soutien et de la patience.
Se libérer d’une mère perverse narcissique
La prise de conscience : sortir du déni
La première étape de la libération est la plus difficile : reconnaître que votre mère est perverse narcissique. Cette prise de conscience heurte de plein fouet l’un des tabous les plus puissants de notre société — l’amour maternel inconditionnel. « Une mère aime toujours son enfant », « Elle fait de son mieux », « Elle a ses défauts mais c’est ta mère » — ces phrases que vous avez entendues toute votre vie (et que vous vous êtes répétées pour survivre) créent une résistance énorme à voir la vérité.
De plus, la mère narcissique est souvent experte pour maintenir une image sociale impeccable. À l’extérieur, elle peut être charmante, généreuse, une « mère modèle ». Personne ne vous croira si vous tentez de décrire ce qui se passe derrière les portes closes. Cette dissonance entre l’image publique et la réalité privée ajoute une couche de confusion et de doute — « Peut-être que c’est moi le problème », « Peut-être que j’exagère », « Peut-être que je suis ingrat ».
Océane témoigne : « Quand j’ai commencé à parler de ma mère en thérapie, je me justifiais sans arrêt : “Mais elle n’a jamais levé la main sur moi”, “Elle me payait des cours de piano”, “D’autres ont vécu pire”. Il m’a fallu un an pour dire simplement : “Ma mère me maltraitait psychologiquement.” »
Ce n’était pas votre faute
Une fois la prise de conscience amorcée, il est crucial de comprendre et d’intégrer profondément cette vérité : ce n’était pas votre faute. Vous n’étiez pas un enfant difficile. Vous n’étiez pas trop sensible. Vous n’étiez pas ingrat. Vous n’aviez pas à « mériter » l’amour de votre mère — cet amour aurait dû être un droit de naissance, pas une récompense conditionnelle et sans cesse différée.
Votre mère ne vous a pas maltraité parce que vous étiez inadéquat — elle vous a maltraité parce qu’elle était incapable d’amour authentique, parce que ses besoins narcissiques primaient sur tout, parce qu’elle utilisait ses enfants comme des objets destinés à réguler ses propres états internes. C’était sa pathologie, pas votre échec. Un enfant ne peut pas « causer » la perversion narcissique de sa mère — il ne peut qu’en subir les conséquences.
Le deuil de la mère idéale
Se libérer d’une mère perverse narcissique implique un processus de deuil particulièrement douloureux : le deuil de la mère que vous n’avez jamais eue et n’aurez jamais. Ce deuil est compliqué par le fait que la mère est encore vivante, ce qui maintient l’espoir tenace que « peut-être un jour… » Mais la vérité difficile est que les pervers narcissiques ne changent généralement pas, surtout pas à un âge avancé.
Ce deuil comporte plusieurs facettes : deuil de l’enfance que vous auriez dû avoir, deuil des moments de tendresse qui n’ont jamais existé, deuil de la validation maternelle que vous ne recevrez jamais, deuil de la famille harmonieuse que vous imaginiez, deuil même de pouvoir éprouver de l’affection simple pour votre mère sans la mélanger à de la peur, de la colère ou du ressentiment.
Zélie partage : « Le plus dur a été de réaliser que je pleurais quelqu’un qui n’avait jamais vraiment existé. La mère aimante que j’espérais, c’était un fantasme. La vraie mère, celle qui existe, est celle qui m’a détruit pendant 30 ans. »
Le chemin de la reconstruction
La reconstruction après avoir grandi avec une mère perverse narcissique est un processus long qui nécessite généralement un accompagnement thérapeutique spécialisé. Ce n’est pas simplement une question de « tourner la page » ou de « pardonner » — c’est un travail profond de reconstruction identitaire. Il s’agit de découvrir qui vous êtes vraiment quand vous n’êtes plus défini par les projections, les attentes, les critiques de votre mère.
Ce travail comporte plusieurs dimensions : apprendre à identifier et à valider vos propres émotions (qu’est-ce que je ressens vraiment, indépendamment de ce que je « devrais » ressentir ?), développer des limites saines (où est-ce que je finis et où l’autre commence ?), réparer l’estime de soi (je suis valable simplement parce que j’existe, pas parce que je performe), se reconstruire une identité cohérente (qui suis-je vraiment ?), et développer la capacité à l’intimité authentique (puis-je me montrer vulnérable sans être détruit ?).
Il s’agit aussi de « re-parenter » l’enfant intérieur — développer envers vous-même la bienveillance, la patience, l’encouragement que votre mère n’a jamais offerts. Quand la voix critique interne émerge (celle qui reprend les mots de votre mère), apprendre à la reconnaître et à lui opposer une voix protectrice et aimante. Devenir pour vous-même le parent que vous auriez mérité d’avoir.
Le détachement émotionnel ou le no contact
Pour se protéger, deux options principales s’offrent à vous : le détachement émotionnel (si le contact est inévitable) ou le no contact (rupture complète). Le détachement émotionnel — parfois appelé « contact gris » ou grey rock — consiste à maintenir un contact minimal et superficiel, sans investissement émotionnel. Vous devenez comme un « rocher gris » : ennuyeux, prévisible, sans réaction émotionnelle qui pourrait alimenter le narcissisme maternel. Conversations factuelles, brèves, sur des sujets neutres. Pas de confidences, pas de vulnérabilité, pas de réactions aux provocations.
Le no contact est une option plus radicale mais souvent nécessaire pour une véritable guérison. Il s’agit de couper complètement les ponts — pas de visites, pas d’appels, pas de messages, parfois même déménager sans laisser d’adresse. Cette décision est souvent jugée sévèrement par l’entourage (« C’est ta mère quand même ! ») et génère une culpabilité intense chez la victime. Mais il faut reconnaître une vérité difficile : vous n’avez aucune obligation envers quelqu’un qui vous a maltraité, même si cette personne vous a donné naissance.
Le no contact n’est pas une punition envers la mère — c’est une protection pour vous. C’est reconnaître que cette relation est toxique au point d’être dangereuse pour votre santé mentale, et choisir de vous protéger. Certaines personnes choisissent un no contact temporaire (le temps de guérir et de renforcer leurs limites), d’autres un no contact définitif. Il n’y a pas de « bonne » décision universelle — seulement celle qui vous permet de survivre et éventuellement de prospérer.
Apprendre à s’aimer : développer la compassion pour soi
L’un des aspects les plus importants de la guérison est le développement de la compassion pour soi-même. Après avoir passé toute votre enfance et peut-être votre vie d’adulte à vous critiquer avec la voix de votre mère intériorisée, il s’agit maintenant d’apprendre une façon radicalement différente de vous traiter. La compassion pour soi n’est pas de l’égoïsme — c’est la reconnaissance que vous méritez la même gentillesse que vous offrez facilement aux autres.
Cela implique de reconnaître votre souffrance sans la minimiser (« Oui, c’était vraiment difficile », « Oui, j’ai le droit d’être blessé »), de reconnaître votre humanité commune (« Je ne suis pas seul à avoir vécu cela », « La souffrance fait partie de l’expérience humaine »), et de vous traiter avec bienveillance (« Que dirais-je à un ami dans cette situation ? Comment puis-je m’offrir ce même soutien à moi-même ? »).
Apprendre à s’aimer quand on a été privé d’amour maternel est un défi monumental. Mais c’est possible. Et c’est peut-être le plus bel acte de rébellion contre votre mère perverse narcissique — devenir l’adulte aimant et bienveillant qu’elle n’a jamais été, d’abord envers vous-même, puis potentiellement envers vos propres enfants, brisant ainsi le cycle intergénérationnel.
Situations particulières et défis spécifiques
Quand on a des enfants avec une mère PN encore vivante
Une situation particulièrement complexe survient quand vous avez vos propres enfants et que votre mère perverse narcissique veut être « grand-mère ». Vous vous retrouvez face à un dilemme déchirant : protéger vos enfants tout en gérant potentiellement les attentes sociales et familiales. La pression peut être intense : « Tu ne peux pas priver tes enfants de leur grand-mère ! », « Elle n’a peut-être pas été parfaite avec toi, mais c’est différent avec ses petits-enfants ».
Mais la réalité est que les mères perverses narcissiques ne changent généralement pas en devenant grand-mères. Elles peuvent utiliser vos enfants pour vous manipuler (« Si tu ne fais pas ce que je veux, tu ne les reverras plus »), ou répéter avec eux les mêmes patterns destructeurs qu’avec vous (critique, comparaison, favoritisme), ou les instrumentaliser contre vous (« Ta maman est méchante avec mamie »). Vos enfants peuvent devenir les otages émotionnels de cette relation toxique.
Si vous choisissez de maintenir un contact limité, une supervision constante est essentielle. Jamais de garde seule, présence permanente d’un parent protecteur, et préparation à interrompre immédiatement toute interaction toxique. Il est aussi crucial de valider l’expérience de vos enfants (« Tu as le droit de ne pas aimer ce que mamie a dit ») et de ne pas les forcer à manifester de l’affection (« Tu n’as pas à faire un bisou si tu n’en as pas envie »).
Gérer les occasions familiales et les pressions sociales
Les occasions familiales — mariages, baptêmes, enterrements, fêtes — deviennent des champs de mines émotionnels quand on a une mère perverse narcissique. Vous êtes tiraillé entre le désir de ne pas créer de drame et le besoin de vous protéger. L’entourage familial peut exercer une pression énorme : « C’est Noël, fais un effort », « C’est ton mariage, tu ne peux pas ne pas inviter ta propre mère ».
Certaines stratégies peuvent aider : venir accompagné d’une personne de confiance qui connaît la situation et peut vous soutenir, prévoir une « sortie de secours » (voiture garée pour partir rapidement, excuse préparée), limiter drastiquement le temps de présence, éviter les moments en tête-à-tête, et se préparer mentalement à ne pas réagir aux provocations. Certaines personnes choisissent aussi de créer leurs propres traditions, célébrant les occasions importantes avec leur famille choisie plutôt qu’avec leur famille d’origine.
Quand vos frères et sœurs ne vous croient pas
Une douleur particulièrement aiguë survient quand vos frères et sœurs — qui ont grandi dans la même maison — ne reconnaissent pas la toxicité de votre mère, voire vous accusent d’exagérer ou d’être ingrat. Cela arrive fréquemment pour plusieurs raisons : ils peuvent avoir été les « enfants dorés » et avoir donc bénéficié d’un traitement différent ; ils peuvent être encore dans le déni pour se protéger ; ils peuvent avoir développé des stratégies d’adaptation différentes (minimisation, rationalisation) ; ou la mère peut avoir monté les enfants les uns contre les autres si efficacement que toute alliance fraternelle est impossible.
Cette situation crée un sentiment d’isolement profond. Non seulement vous avez été maltraité par votre mère, mais votre expérience est niée par les seules personnes qui auraient pu la valider. Il est important de reconnaître que vous ne pouvez pas forcer vos frères et sœurs à voir ce qu’ils ne sont pas prêts à voir. Leur déni les protège peut-être d’une douleur qu’ils ne peuvent pas encore affronter. Vous pouvez maintenir la porte ouverte pour une connexion future, tout en acceptant que pour l’instant, ils ne peuvent pas être vos alliés dans cette guérison.
Clémence raconte : « Mon frère me dit que je dramatise, que “maman a ses défauts mais elle nous aime”. Il ne veut pas voir que l’amour dont il a bénéficié, moi je ne l’ai jamais reçu. J’ai dû faire mon deuil d’avoir un frère qui me comprendrait. »
Conclusion : un travail de libération essentiel
Se libérer de l’emprise d’une mère perverse narcissique est l’un des travaux psychologiques les plus difficiles qui soient. Cette figure qui aurait dû être votre port d’attache, votre source de sécurité et d’amour, a été au contraire celle qui vous a le plus profondément blessé. Les cicatrices laissées par cette maltraitance psychologique précoce et systématique sont profondes et durables. Elles affectent votre identité, vos relations, votre rapport à vous-même et au monde.
Mais la guérison, bien que longue et difficile, est possible. Des milliers de personnes avant vous ont emprunté ce chemin douloureux et ont réussi à se construire une vie qui vaut la peine d’être vécue, des relations authentiques et nourrissantes, une identité stable et cohérente. Vous n’êtes pas condamné à reproduire les patterns de votre enfance. Vous n’êtes pas « abîmé à jamais ». Vous êtes blessé, certes, mais capable de guérison.
Ce travail nécessite généralement un accompagnement thérapeutique spécialisé, idéalement avec un thérapeute qui comprend la dynamique spécifique de la perversion narcissique et du trauma d’attachement précoce. Il nécessite aussi de la patience envers vous-même — vous avez passé toute votre enfance et peut-être des décennies de vie d’adulte à fonctionner selon les règles imposées par votre mère. Apprendre à fonctionner différemment prend du temps.
Souvenez-vous : choisir de vous libérer, de vous protéger, de couper les ponts si nécessaire, ce n’est pas de l’égoïsme ou de la cruauté — c’est de la survie. Vous avez le droit de vous choisir, même si cela signifie ne plus choisir votre mère. Vous avez le droit de construire la vie que vous méritez, même si cela implique de renoncer à l’espoir d’obtenir enfin l’amour maternel que vous avez toujours désiré. Parfois, se libérer signifie accepter que certaines personnes, même notre mère, ne peuvent pas nous donner ce dont nous avons besoin — et se tourner ailleurs pour le trouver.
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FAQ : Questions fréquentes sur la mère perverse narcissique
Comment savoir avec certitude si ma mère est perverse narcissique ou simplement “difficile” ?
Cette question est cruciale car elle touche au cœur d’une difficulté majeure : distinguer une mère imparfaite (ce que nous sommes tous) d’une mère véritablement perverse narcissique (ce qui est beaucoup plus rare et infiniment plus destructeur). Plusieurs éléments permettent de faire cette distinction. D’abord, la systématicité : une mère « difficile » a des moments de maladresse, de fatigue, d’imperfection, mais aussi des moments d’amour authentique, de réparation, d’efforts sincères. Une mère perverse narcissique présente un pattern constant et cohérent de comportements destructeurs. Ce n’est pas « parfois » — c’est la structure fondamentale de la relation.
Ensuite, l’intentionnalité (consciente ou non) de la destruction : une mère difficile blesse par maladresse, ignorance, ou reproduction de ses propres traumas non résolus, mais souffre réellement quand elle réalise qu’elle a fait mal à son enfant. Une mère perverse narcissique tire une satisfaction (souvent inconsciente) de la souffrance de son enfant — cette souffrance prouve son pouvoir, remplit son vide narcissique. Quand vous lui exprimez votre douleur, elle nie, minimise, retourne la situation pour se poser en victime, ou intensifie l’agression. Il n’y a jamais de vraie reconnaissance, de vraie responsabilité, de vrai changement.
Un troisième critère est l’impact sur votre développement et votre fonctionnement actuel : tout le monde a des « problèmes » avec ses parents, mais si votre relation avec votre mère a profondément et durablement endommagé votre estime de vous-même, votre capacité à établir des relations saines, votre identité même — si vous vous sentez fondamentalement « cassé » plutôt que simplement « blessé » — c’est un indicateur significatif. Les enfants de mères perverses narcissiques décrivent souvent un sentiment d’effondrement intérieur, de vide identitaire, de ne pas savoir qui ils sont vraiment en dehors des projections maternelles.
Enfin, faites confiance à votre ressenti viscéral : quand vous pensez à votre mère, à la perspective de passer du temps avec elle, à l’idée de lui téléphoner, que ressentez-vous ? De la simple contrariété ou de la véritable terreur ? De la tristesse ou un sentiment de vide désespéré ? Si votre corps réagit par de l’anxiété intense, des symptômes physiques (nausées, maux de tête, tensions), un sentiment de dissociation, c’est que votre système nerveux vous envoie un signal clair : cette relation est dangereuse pour vous. Une relation « simplement difficile » n’active pas les mêmes réponses de trauma que la perversion narcissique.
Est-ce que ma mère perverse narcissique peut changer avec le temps ou la thérapie ?
C’est une question douloureuse parce qu’elle touche à l’espoir — ce désir tenace que « peut-être, si elle vieillissait », « peut-être, si elle allait en thérapie », « peut-être, si quelque chose la secouait assez fort », elle deviendrait enfin la mère aimante que vous avez toujours désirée. Malheureusement, la réponse honnête est : probablement pas, et certainement pas de la façon dont vous l’espérez.
Les pervers narcissiques — qu’ils soient mères, pères, conjoints — changent rarement pour plusieurs raisons structurelles. D’abord, pour changer, il faut reconnaître qu’on a un problème. Or, par définition, le narcissique pathologique ne se voit pas comme ayant un problème — ce sont les autres qui sont le problème. Votre mère perverse narcissique n’a probablement jamais ressenti de réelle culpabilité ou remords pour ses actions. Elle peut exprimer une « culpabilité » performative quand ça lui sert (pour vous manipuler, pour préserver son image), mais pas une vraie conscience douloureuse d’avoir fait du mal.
Ensuite, la thérapie ne fonctionne que si la personne s’y engage sincèrement, avec une volonté authentique de changer. Les pervers narcissiques, quand ils vont en thérapie (ce qui est rare), le font généralement pour des raisons instrumentales : prouver qu’ils sont « bons » (« Regarde, je fais des efforts, c’est toi le problème »), ou apprendre de nouvelles techniques de manipulation (les pervers narcissiques sont habiles à retourner le langage thérapeutique à leur avantage). Un thérapeute non formé aux troubles de la personnalité peut même être manipulé et devenir, sans le vouloir, un outil supplémentaire dans l’arsenal du narcissique.
Il existe quelques cas documentés de narcissiques qui ont entamé un véritable travail thérapeutique — généralement après un événement catastrophique (perte de tous leurs proches, maladie grave, etc.) qui a fissuré leur défense narcissique. Mais même dans ces cas rares, le changement est partiel, lent, et fragile. La structure narcissique fondamentale reste, avec des améliorations comportementales en surface. Et soyons honnêtes : il est peu probable que votre mère soit dans ce petit pourcentage de narcissiques qui entreprennent un vrai travail sur eux-mêmes.
Le vieillissement, contrairement à ce qu’on pourrait espérer, n’améliore généralement pas les choses. Certaines mères perverses narcissiques s’adoucissent légèrement avec l’âge (fatigue, perte d’énergie pour maintenir les jeux de pouvoir), mais beaucoup deviennent pires — plus amères, plus exigeantes, utilisant leur âge et leur fragilité comme nouveaux outils de manipulation (« Je vais bientôt mourir et tu me traites comme ça », « Je suis vieille et malade, tu me dois bien ça »). Le narcissisme âgé peut être particulièrement toxique car il combine la pathologie narcissique avec le désespoir face au déclin inévitable.
La question n’est donc pas « Est-ce qu’elle peut changer ? » mais plutôt « Combien d’années de ma vie vais-je sacrifier en attendant un changement qui ne viendra probablement jamais ? » Votre énergie serait infiniment mieux investie dans votre propre guérison que dans l’espoir que votre mère devienne différente. Accepter qu’elle ne changera pas est un deuil douloureux mais libérateur — cela vous permet enfin d’arrêter d’attendre et de commencer à construire votre vie sur des bases plus solides.
Dois-je couper complètement les ponts ou le “contact gris” suffit-il ?
Cette décision est extrêmement personnelle et dépend de nombreux facteurs : la sévérité de la maltraitance, votre état psychologique actuel, votre capacité à maintenir des limites, vos obligations familiales, vos ressources de soutien, et même votre situation géographique et financière. Il n’y a pas de « bonne » réponse universelle — seulement celle qui vous permet de survivre et idéalement de prospérer.
Le « contact gris » (grey rock) est une stratégie où vous maintenez un contact minimal et superficiel avec votre mère, mais sans investissement émotionnel. Vous devenez comme un « rocher gris » — ennuyeux, prévisible, sans réaction émotionnelle qui pourrait alimenter son narcissisme. Conversations factuelles et brèves : « Oui maman », « Non maman », « Je ne sais pas », « Il faut que j’y aille ». Pas de partage émotionnel, pas de confidences, pas de réactions aux provocations. Vous êtes présent physiquement mais absent émotionnellement.
Cette stratégie peut fonctionner si : la maltraitance n’était pas aux extrêmes de sévérité, vous avez déjà fait un travail thérapeutique solide et avez des limites claires, le contact est peu fréquent et peut être contrôlé (pas de cohabitation), vous avez des raisons pragmatiques de maintenir un contact (héritage, accès à d’autres membres de la famille que vous aimez), et vous avez un réseau de soutien solide qui vous aide à maintenir la perspective quand les interactions avec votre mère vous ébranlent.
Mais le contact gris a ses limites et ses coûts. Même avec des limites strictes, chaque interaction peut être rétraumatisante. Voir votre mère, entendre sa voix, peut déclencher des réactions physiologiques de stress, des flashbacks émotionnels, des jours ou des semaines de régression où vous vous sentez redevenir l’enfant impuissant et terrifié. De plus, maintenir cette « neutralité » émotionnelle demande une énergie psychique énorme — vous devez constamment vous surveiller, gérer vos réactions, vous dissocier de vos émotions authentiques. Cette énergie pourrait être investie ailleurs, dans votre guérison ou dans votre vie.
Le no contact (rupture complète) est l’option plus radicale : pas de visites, pas d’appels, pas de messages, parfois même déménager sans laisser d’adresse. Cette décision génère généralement une culpabilité intense (renforcée par les messages sociaux : « C’est ta mère quand même ! ») et peut entraîner des représailles de la part de la mère (campagne de dénigrement auprès de la famille, tentatives de contact par d’autres moyens, menaces diverses). Mais pour beaucoup de personnes, c’est la seule option qui permet une vraie guérison. Tant que le lien persiste, même ténu, il maintient une partie de l’emprise.
Le no contact est souvent nécessaire quand : la maltraitance était sévère et continue, vous souffrez de symptômes de stress post-traumatique déclenchés par tout contact avec votre mère, vos tentatives de maintenir des limites ont échoué de façon répétée, votre santé mentale ou physique se détériore à cause du maintien du contact, ou vous avez vos propres enfants à protéger. Certaines personnes font un no contact temporaire (quelques mois ou années, le temps de guérir et de renforcer leurs limites), d’autres un no contact définitif.
Une troisième voie, intermédiaire, existe : le « contact structuré » où vous définissez très précisément les termes du contact (uniquement par téléphone, jamais en personne ; uniquement lors de grandes occasions familiales avec d’autres personnes présentes ; maximum une fois par trimestre, etc.) avec des conséquences claires si ces limites sont violées (fin de la conversation, départ immédiat, période d’aucun contact). Cette option nécessite que vous soyez suffisamment solide pour tenir ces limites malgré les tentatives inévitables de votre mère de les repousser.
Quelle que soit votre décision, rappelez-vous qu’elle n’est pas gravée dans le marbre. Vous pouvez commencer par le contact gris, réaliser que c’est trop difficile, et passer au no contact. Ou faire du no contact pendant des années, puis, une fois solidement guéri, décider de tenter un contact très structuré pour voir si c’est gérable. L’important est de vous autoriser à prioriser votre bien-être et de reconnaître que vous n’avez aucune obligation envers quelqu’un qui vous a maltraité, même si cette personne est votre mère.
Comment gérer la culpabilité et le jugement social quand on coupe les ponts avec sa mère ?
La culpabilité et le jugement social sont probablement les obstacles les plus difficiles au no contact ou même au contact gris. Notre société sacralise la figure maternelle à un point tel que remettre en question l’amour ou la bienveillance d’une mère est presque tabou. « Une mère aime toujours son enfant », « Le lien mère-enfant est sacré », « On n’a qu’une seule mère » — ces phrases sont répétées comme des mantras, créant une pression énorme sur les enfants de mères toxiques pour maintenir la relation à tout prix.
La culpabilité que vous ressentez quand vous envisagez de couper les ponts n’est pas seulement interne — elle a été programmée en vous depuis l’enfance. Votre mère perverse narcissique a certainement passé des années à vous conditionner à vous sentir responsable de ses émotions, de son bien-être, de son bonheur. « Tu me fais mourir », « Si tu me quittes, je ne survivrai pas », « Après tout ce que j’ai fait pour toi » — ces messages ont créé une culpabilité profonde qui s’active dès que vous pensez à vous protéger. Cette culpabilité n’est pas un signe que vous faites quelque chose de mal — c’est un symptôme de l’emprise, le dernier lien qui vous attache à votre bourreau.
Pour gérer cette culpabilité, il est essentiel de la reconnaître pour ce qu’elle est : non pas une boussole morale fiable, mais le résultat d’un conditionnement. Demandez-vous : « Ressentirais-je cette culpabilité si la personne en question n’était pas ma mère mais une amie, un collègue, un partenaire amoureux qui me traitait de la même façon ? » Si la réponse est non, alors votre culpabilité n’est pas basée sur une évaluation rationnelle de la situation, mais sur l’idée sacralisée que vous « devez » quelque chose à votre mère simplement parce qu’elle vous a donné naissance.
Il peut être utile de rappeler cette vérité difficile : vous ne devez rien à quelqu’un qui vous a maltraité. Mettre un enfant au monde ne donne pas un droit perpétuel d’accès à cet enfant devenu adulte, surtout si l’exercice de ce « droit » est nocif pour l’enfant. La maternité n’est pas seulement biologique — c’est un rôle, une fonction, qui implique des responsabilités (nourrir, protéger, soutenir le développement de l’enfant). Si votre mère a failli à ces responsabilités fondamentales, elle n’a pas « mérité » votre loyauté inconditionnelle.
Quant au jugement social, il est inévitable et douloureux. Les gens qui n’ont pas vécu de maltraitance parentale ne peuvent souvent pas concevoir qu’une mère puisse être véritablement toxique. Ils projettent leur propre expérience (« Ma mère et moi, on a eu nos différends, mais je ne couperais jamais les ponts ! ») sans réaliser que votre situation est qualitativement différente. Leurs jugements (« Tu es ingrat », « Tu le regretteras quand elle sera morte », « Famille, c’est famille ») ne viennent pas d’une compréhension de votre réalité — ils viennent de leur propre inconfort face à l’idée qu’une mère puisse être un danger pour son enfant.
Vous n’êtes pas obligé de justifier votre décision auprès de personnes qui ne la comprendront pas. Une phrase simple suffit : « Ma relation avec ma mère est compliquée et cette décision est nécessaire pour ma santé mentale. » Si on insiste : « Je ne souhaite pas en discuter davantage. » Entourez-vous plutôt de personnes qui vous croient et vous soutiennent — thérapeute, groupes de soutien pour enfants de parents narcissiques, amis qui ont vécu des expériences similaires. Dans ces espaces, vous n’aurez pas à vous justifier ou à prouver que votre mère « était vraiment si terrible ». Votre expérience sera crue et validée.
Enfin, si la culpabilité devient paralysante, un travail thérapeutique spécifique sur ce thème est essentiel. Techniques comme la chaise vide (dialoguer avec la partie de vous qui se sent coupable), l’écriture de lettres (que vous n’envoyez pas), ou les exercices de compassion pour soi peuvent aider. L’objectif n’est pas de ne plus jamais ressentir de culpabilité (ce serait irréaliste), mais de pouvoir la reconnaître quand elle surgit, la nommer (« Ah, voilà la culpabilité programmée qui revient »), et ne pas la laisser dicter vos décisions.
Puis-je avoir une relation saine et devenir un bon parent moi-même après avoir eu une mère perverse narcissique ?
C’est une question chargée d’angoisse pour beaucoup d’enfants de mères perverses narcissiques : « Suis-je condamné à répéter les mêmes patterns ? », « Vais-je devenir comme elle ? », « Puis-je avoir des relations saines alors que je n’ai jamais vu de modèle de relation saine ? », « Ai-je le droit de devenir parent alors que je suis si abîmé ? » Ces peurs sont compréhensibles et même saines — elles montrent que vous êtes conscient des risques et que vous voulez faire différemment. Et cette conscience est déjà un atout majeur que votre mère n’avait pas.
La réponse courte est : oui, absolument, vous pouvez avoir des relations saines et devenir un bon parent. Mais cela nécessite un travail conscient, soutenu, et souvent difficile. Les patterns relationnels appris dans l’enfance sont profondément ancrés — ils fonctionnent de façon automatique, en dessous du niveau de la conscience. Vous pouvez intellectuellement savoir ce qu’est une relation saine tout en reproduisant inconsciemment des comportements toxiques. C’est pourquoi la thérapie est si importante — elle aide à identifier ces patterns avant qu’ils ne deviennent destructeurs.
Pour les relations amoureuses ou amicales, plusieurs défis spécifiques se présentent. Vous pourriez être attiré par des partenaires qui reproduisent la dynamique avec votre mère (froideur, critique, indisponibilité émotionnelle) parce que c’est ce qui vous semble « normal ». Ou à l’inverse, vous pourriez être tellement terrifié de reproduire la toxicité que vous évitez complètement l’intimité. Ou encore, vous pourriez osciller entre fusion anxieuse (« Ne me quitte pas ») et rejet défensif (« Je te rejette avant que tu me rejettes »), reproduisant ainsi le pattern d’attachement désorganisé de votre enfance.
Apprendre à avoir des relations saines implique plusieurs étapes : d’abord, identifier vos patterns (« Je m’attache toujours à des personnes émotionnellement indisponibles », « Je sacrifie toujours mes besoins », « Je fuis dès que ça devient trop intime ») ; ensuite, comprendre leurs origines (« Je cherche inconsciemment à “gagner” l’amour de ma mère à travers ces partenaires inaccessibles ») ; puis, progressivement, choisir consciemment des comportements différents (« Cette fois, quand je ressens le désir de me sacrifier, je vais d’abord vérifier ce dont j’ai vraiment besoin ») ; et enfin, trouver des partenaires qui sont eux-mêmes sains et capables de relations authentiques.
Ce dernier point est crucial : même avec tout le travail thérapeutique du monde, vous ne pouvez pas avoir une relation saine avec une personne qui elle-même n’est pas saine. Choisir des partenaires qui ont fait leur propre travail sur eux-mêmes, qui communiquent de façon directe et honnête, qui respectent vos limites, qui sont capables de remise en question — c’est essentiel. Une relation saine, c’est deux personnes saines (ou du moins engagées dans un processus de guérison) qui choisissent consciemment de créer ensemble quelque chose de nourrissant.
Pour ce qui est de la parentalité, les défis sont encore plus intenses mais surmontables. La peur de « devenir comme sa mère » est quasi universelle chez les enfants de mères perverses narcissiques qui envisagent d’avoir des enfants. Cette peur peut même les dissuader complètement de devenir parents, ce qui est une perte immense. Mais la différence fondamentale entre vous et votre mère est que vous vous posez cette question. Votre mère n’a jamais douté d’elle-même, n’a jamais craint de faire du mal, n’a jamais remis en question ses comportements. Vous, si. Et cette capacité d’introspection, d’autocritique, de remise en question — c’est votre plus grande protection contre la reproduction du pattern.
Devenir parent après avoir eu une mère perverse narcissique nécessite plusieurs précautions : idéalement, avoir fait un travail thérapeutique substantiel avant la naissance (les premiers mois avec un bébé réactivent intensément vos propres expériences d’enfance) ; choisir un coparent qui est lui-même sain et peut vous soutenir dans les moments difficiles ; rester en thérapie pendant les premières années de parentalité ; lire et apprendre activement sur le développement de l’enfant et les pratiques parentales saines ; trouver des modèles de parents bienveillants dans votre entourage ou dans des livres/ressources ; vous entourer d’un village de soutien (amis, famille choisie, groupes de parents) ; et pratiquer l’auto-compassion quand vous faites des erreurs (ce qui est inévitable).
Vous ferez des erreurs. Tous les parents en font. Parfois, vous entendrez sortir de votre bouche des phrases de votre mère et vous serez horrifié. Parfois, vous serez impatient, irritable, indisponible émotionnellement. La différence cruciale est que vous le remarquerez, que vous en souffrirez, que vous vous excuserez auprès de votre enfant, que vous réparerez. Votre mère ne l’a jamais fait. Et c’est cette capacité de réparation — reconnaître vos erreurs, vous excuser, faire différemment la prochaine fois — qui brise le cycle intergénérationnel.
De nombreux enfants de mères perverses narcissiques deviennent des parents exceptionnellement conscients et bienveillants précisément parce qu’ils savent ce que c’est que de ne pas l’avoir reçu. Ils sont déterminés à offrir à leurs enfants ce qui leur a été refusé : validation, soutien inconditionnel, respect des limites, célébration de leur individualité. Oui, c’est difficile. Oui, vous porterez toujours les cicatrices de votre enfance. Mais non, vous n’êtes pas condamné à les transmettre. Vous pouvez être le parent que vous auriez voulu avoir. Et ce faisant, vous vous offrez aussi à vous-même un peu de la bienveillance parentale que vous avez manquée.