Le refus de la perte : harceler pour rester présent
La rupture confronte le pervers narcissique à ce qu’il redoute plus que tout : l’absence. Là où d’autres, malgré la douleur, traversent un processus de deuil, lui s’y refuse absolument. Car l’absence, pour lui, ne signifie pas seulement la perte d’un lien : elle équivaut à une disparition intérieure.
Sans regard qui l’admire ou qui le craint, il se sent s’effondrer. Ce vide, insupportable, il le recouvre par le vacarme. Messages incessants, appels répétés, passages imprévus : il se manifeste de toutes les manières possibles. Même sans réponse, le harcèlement lui suffit. Car tant que la victime reçoit, entend, perçoit sa présence, il croit conjurer le néant.
Le silence serait un constat trop cruel : preuve qu’il n’a plus de pouvoir. Alors il le remplace par un bruit continu qui empêche toute séparation nette. La victime vit dans un climat saturé, chaque vibration de téléphone devient une alarme. Ce harcèlement n’est pas un appel : c’est un refus de mourir psychiquement.
La projection destructrice : salir l’autre pour se sauver soi-même
Quand l’invasion ne suffit plus, une autre mécanique s’enclenche : l’expulsion. Le pervers narcissique rejette sur la victime ce qu’il ne supporte pas en lui-même.
Ainsi, la victime est décrite comme instable, cruelle, incapable d’aimer, alors que ce sont ses propres failles qu’il projette sur elle. Ce retournement lui permet de se protéger de la honte.
Mais salir l’autre n’a pas seulement une fonction défensive : c’est aussi une arme sociale. En répandant rumeurs et soupçons, il isole la victime de ses soutiens. Plus elle est seule, plus elle devient vulnérable. Plus elle est vulnérable, plus son pouvoir sur elle se renforce.
L’instrumentalisation des institutions : prolonger la guerre autrement
Lorsque l’entourage a été manipulé, il se tourne vers un champ plus vaste : les institutions. Le tribunal, l’école, les services sociaux deviennent ses nouveaux instruments.
Procédures interminables, plaintes abusives, contestations sur tout : le but n’est pas la victoire juridique, mais la prolongation de la relation. Tant que la victime doit répondre, se défendre, comparaître, elle reste liée à lui.
Ce retournement de la loi illustre son refus de toute limite extérieure. L’outil de protection devient arme d’usure. La victime s’épuise à survivre à ce champ de bataille procédural, au lieu de se reconstruire.
L’instauration de la terreur : la menace comme arme
Quand la résistance persiste, l’étau se resserre : il recourt à la menace.
La menace n’a pas besoin d’être mise à exécution pour être efficace. Elle agit par anticipation. « Tu verras. » « Les enfants, je peux te les enlever. » « Tu ne sais pas de quoi je suis capable. »
La peur ainsi suscitée la victime. Chacun de ses choix se calcule en fonction du danger possible. La vie devient évitement permanent. Le piège est alors parfait : la prison est invisible, mais elle enferme totalement.
Le passage au pire : quand la destructivité déborde
À ce stade, il arrive que la destructivité franchisse un seuil. Le pervers narcissique ne cherche plus seulement à retenir : il veut effacer. La victime cesse d’être reconnue comme sujet et devient un obstacle, une menace, un témoin trop gênant de son vide intérieur.
On n’est plus dans le contrôle : c’est un besoin d’anéantissement.
Le passage à l’acte peut se déployer en plusieurs étapes, selon une escalade dont les jalons peuvent être repérés :
- Violence symbolique : gestes ou paroles destinés à frapper l’imaginaire. Briser un objet aimé, écrire une menace, marquer un mur. Le message est clair : « ce qui t’appartient peut disparaître ».
- Destruction matérielle : attaques dirigées contre les biens de la victime. Saccage, dégradation, effraction. Ici, ce n’est plus le symbole mais le concret qui est visé. L’espace vital est envahi, marqué, violé.
- Atteinte corporelle : passage à l’agression physique. Coups, blessures, violences sexuelles parfois. Le corps devient le lieu de la démonstration de pouvoir. La peur n’est plus seulement anticipation, elle s’incarne dans la chair.
- Anéantissement absolu : dans des cas extrêmes, cette logique peut aller jusqu’au meurtre, ou à pousser la victime au suicide par une pression psychique insoutenable. Dans les deux cas, la finalité est la même : effacer définitivement la preuve insupportable de la perte.
La logique inconsciente
Ce basculement traduit une rage archaïque. Dans son esprit, soit l’autre lui appartient totalement, soit il doit disparaître. Incapable de supporter une existence autonome, il préfère réduire au néant.
Ce n’est pas une « toute-puissance » mais une incapacité fondamentale à supporter le vide. Le passage à l’acte est l’expression d’une dépossession sans issue pour le pervers narcissique.
Les cicatrices traumatiques
Être exposée au pire – qu’il soit réalisé ou seulement rendu possible – laisse une empreinte durable.
La sidération : quand le temps s’arrête
Face à une menace extrême, il arrive que le corps se fige, que les mots se bloquent, que les pensées s’interrompent. Le temps s’arrête. Cette sidération est un réflexe de survie. Elle suspend l’action pour tenter d’éviter le coup. Sur le moment, elle protège, mais après coup elle laisse souvent place à la honte.
L’anesthésie : survivre en se coupant de soi
Dans certains cas, la peur est telle que le psychisme se déconnecte. La victime se sent absente, comme détachée de son corps, anesthésiée. Cette déconnexion protège sur le moment, mais elle laisse ensuite un sentiment d’irréalité.
Les traces corporelles : un corps qui n’oublie pas
Même après la fin de l’agression, le corps reste marqué. Insomnie, palpitations, tensions chroniques : tout indique que l’alerte demeure. Certains bruits ou situations suffisent à réactiver la peur. Le corps continue de réagir comme si le danger était encore là.
Le verrouillage du désir
Le pire agit aussi sur le rapport au temps. L’avenir semble fermé, verrouillé. Le désir de vivre, de créer, de se projeter s’étiole. La vie se réduit à un présent figé, saturé d’angoisse.
Et pourtant : un processus réversible
Ces cicatrices n’ont rien d’irréversible. Le psychisme humain possède une force de réparation étonnante. Avec du temps, du soutien et une reconnaissance de ce qui a été traversé, il est possible de transformer la sidération en mémoire, l’anesthésie en sentiment retrouvé, le corps en allié réapprivoisé.
Le premier pas consiste à comprendre que ces réactions de survie ne sont pas des signes de faiblesse, mais la preuve d’une force : celle d’avoir tenu face à l’insoutenable.
Déjouer l’illusion de toute-puissance
Aussi terrifiante que soit cette destructivité, elle n’est pas sans fin. Elle révèle non pas une force absolue mais une fragilité abyssale.
Le pervers narcissique ne détruit pas parce qu’il est invincible. Sa violence est l’expression de son incapacité à tolérer la défaite, la perte.
Il existe des barrières, des défenses efficaces : la loi, les institutions, l’entourage. Nommer la mécanique, c’est déjà l’affaiblir. Comprendre qu’il ne détruit pas parce qu’il est plus fort, mais parce qu’il est incapable de tolérer le vide, aide à sortir peu à peu de l’angoisse.