Le mariage n’est plus ce qu’il était. Institution jadis incontournable qui scellait l’union d’un homme et d’une femme pour la vie, il est devenu aujourd’hui une option parmi d’autres, souvent délaissée au profit de formes relationnelles plus souples et réversibles. Cette évolution témoigne d’une transformation profonde de la conception du couple : de l’engagement à vie à la relation pure fondée sur le seul lien affectif, du mariage obligatoire à l’union libre choisie. Mais cette liberté nouvelle crée aussi des zones de vulnérabilité où les pervers narcissiques peuvent prospérer, exploitant la précarité des liens pour échapper à tout engagement tout en maintenant leur partenaire sous emprise.
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Faire le test maintenantNouvelles formes du couple : du mariage à l’union libre
La désaffection pour le mariage
La famille ayant évolué, tout ce qui s’y rattache s’en est trouvé simultanément modifié, comme le mariage qui n’est plus vraiment « à la noce ». Bien sûr, les gens rêvent toujours de rencontrer le compagnon ou la compagne de leur vie… du moment. Il suffit, pour le constater, de surfer quelques jours sur les sites de rencontres : beaucoup cherchent l’âme sœur, mais la conception qu’ils ont du couple à former n’est plus du tout la même qu’autrefois. On se marie beaucoup moins qu’avant. Cependant, le mariage est alors choisi avec plus de conscience, sur la base d’une vraie volonté, parfois au bout de nombreuses années de cohabitation. La naissance d’un enfant peut aussi inciter le couple au mariage, mais pas nécessairement : 50 % des enfants naissent aujourd’hui hors mariage, en France.
Cette formule ironique — « du moment » — résume toute l’ambivalence contemporaine face à l’engagement amoureux. On cherche l’âme sœur, oui, mais avec la conscience implicite que cette union pourrait ne pas durer. On espère le grand amour, mais on se prépare mentalement à son éventuelle fin. Cette précaution psychologique est à la fois sage (elle évite les désillusions brutales) et problématique (elle empêche peut-être l’investissement total nécessaire pour qu’une relation prospère). Pour le pervers narcissique, cette ambivalence est une aubaine : il peut se présenter comme quelqu’un de « moderne » qui refuse les « contraintes archaïques » du mariage, tout en maintenant sa partenaire dans une relation sans statut donc sans protection.
Le témoignage d’Alain et Marie : l’union libre par choix
Alain et Marie, 30 ans, une fille de 2 ans, en sont le témoignage :
« Nous n’avons aucune raison de nous marier, ou alors, dans quelques années, peut-être, quand nous aurons d’autres enfants ! Notre petite fille servira de demoiselle d’honneur ! »
« Plus sérieusement, dit Marie, nous n’avons pas envie de remettre en question notre équilibre avec un engagement trop fort pour nous, que nous vivrions comme une contrainte. Nous pensons que nous avons plus de chances de rester ensemble en étant libres de toute contrainte légale. Notre fille, c’est ce qui nous unit quoi qu’il en soit. Plus tard, on verra. Peut-être qu’en vieillissant l’envie nous viendra ! »
Ce témoignage illustre une croyance répandue : le mariage comme « contrainte » qui menacerait « l’équilibre » du couple. Cette vision témoigne d’une transformation radicale des mentalités. Pour les générations précédentes, le mariage était précisément ce qui créait la sécurité et la stabilité du couple. Pour les générations actuelles, il représente au contraire un risque : celui de transformer l’amour en obligation, la relation en routine, le choix en contrainte. Cette inversion révèle aussi une angoisse profonde face à l’engagement durable, comme si promettre la permanence revenait à se mentir à soi-même.
Mais cette « liberté » proclamée cache aussi des asymétries. Qui décide vraiment de ne pas se marier ? Est-ce un choix mutuel ou la préférence de l’un imposée à l’autre ? Marie affirme que « notre fille, c’est ce qui nous unit », mais qu’arrive-t-il si Alain décide un jour que cette union ne lui convient plus ? Sans statut légal, sans protection juridique, elle se retrouvera dans une situation de grande vulnérabilité, surtout avec un enfant à charge. Le pervers narcissique utilise brillamment cet argument : « Le mariage, c’est bourgeois, archaïque, ça détruit l’amour. » En réalité, il refuse simplement tout engagement qui le rendrait comptable de ses actes et limiterait sa liberté de partir quand bon lui semble.
La facilité du divorce et ses conséquences
Enfin, si le mariage n’est guère en vogue, le nombre de divorces a, lui, beaucoup augmenté lors des dernières décennies. L’engagement est même désormais réversible par simple lettre recommandée (concernant le Pacs et le concubinage). Le divorce par consentement mutuel, établi en 1975, a non seulement favorisé les séparations définitives, mais il a aussi eu une incidence notable sur les mentalités : il est désormais acquis que le fait de « rompre » les liens n’est pas si grave. De là à penser qu’il est plus facile de défaire des liens non officialisés antérieurement, il n’y avait qu’un pas : on assiste, parallèlement au phénomène du divorce, à l’augmentation de l’union libre. L’idée de couple n’est donc plus strictement liée à celle de l’attache institutionnelle.
Cette facilité accrue de la séparation est à double tranchant. D’un côté, elle permet aux victimes de violence conjugale de sortir plus facilement de relations destructrices — et c’est indéniablement un progrès. De l’autre, elle crée une culture de la précarité relationnelle où l’engagement n’est jamais vraiment pris au sérieux. On entre en couple avec une « porte de sortie » mentale déjà identifiée. Cette précaution psychologique empêche peut-être les investissements profonds nécessaires pour traverser les inévitables difficultés de toute relation.
« Quand on me demande si l’on doit m’appeler madame ou mademoiselle, plaisante Marie, je réponds toujours : mademoiselle, comme sur ma carte d’identité ! J’y tiens beaucoup. Madame, ça me fait penser à toutes ces femmes à qui je n’ai pas tellement envie de ressembler : trop installées dans une vie fixe. Cela me donne la sensation de quelque chose d’immuable ; c’est angoissant… Moi, je fais un choix tous les jours : celui de partager ma vie avec Alain. »
Cette remarque de Marie révèle une angoisse profonde face à la permanence, à l’« immuable ». Rester « mademoiselle », c’est symboliquement garder toutes les options ouvertes, ne pas se définir par son statut marital, préserver une liberté qui semble menacée par le titre de « madame ». Mais cette liberté a un coût : l’impossibilité de se sentir vraiment ancrée, vraiment engagée, vraiment construite dans la durée. « Faire un choix tous les jours » semble valorisant, mais c’est aussi épuisant et anxiogène. Cela suppose que chaque jour pourrait être le dernier, que rien n’est jamais vraiment acquis, que la relation est en permanence sur la sellette.
Le couple postmoderne : nouvelles configurations
Les « non-cohabitants » : une tendance croissante
De nos jours, nombreux sont les célibataires (plus de 10 millions en France). Qui plus est, 16 % des couples, mariés ou non, ne partagent pas la même habitation (source Ined). On les appelle « non-cohabitants » ou LAT (de l’anglais : Living Apart Together), ou « intermittents du couple » ! Cette « race de mutants » est souvent contrainte à renoncer à la vie commune du fait d’impératifs professionnels ou par choix : voici que se profile le couple postmoderne.
Cette formulation — « race de mutants » — témoigne de l’étrangeté que suscite encore cette configuration. Un couple qui ne vit pas ensemble, est-ce vraiment un couple ? La cohabitation n’est-elle pas la définition même de la vie à deux ? Ces questions révèlent à quel point nos représentations du couple restent ancrées dans des modèles traditionnels, même quand nos pratiques s’en éloignent. Le couple LAT remet en cause l’équation « amour = cohabitation = partage du quotidien = vie commune ». Il affirme qu’on peut s’aimer profondément tout en gardant des espaces de vie séparés, des rythmes différents, des intimités distinctes.
Victor et Francesca : l’autonomie préservée
C’est le cas de Victor et Francesca, tous deux attachés de presse :
« Quand nous nous sommes rencontrés nous avions déjà chacun notre appartement, précise Victor. Moi, dans le septième arrondissement de Paris et Francesca, dans le cinquième. Nous n’avions aucun désir de quitter nos lieux de vie, ni l’un ni l’autre. Francesca a un tout petit deux pièces perché sous les toits, dans une rue très passante, avec un balcon sur lequel elle cultive ses plantes. Pour ma part, j’habite une sorte de loft très moderne avec un large espace central, dans une ambiance zen, calme et feutrée : pas du tout le même style ! »
« Le fait de ne pas partager le quotidien ne nous éloigne en rien, dit Francesca. Au contraire, nous sommes toujours heureux, presque émus, de nous retrouver deux ou trois fois par semaine, pour une sortie, un repas avec des amis, ou tout simplement pour passer la soirée et la nuit ensemble – en général chez Victor. »
« Je ne vois pas du tout en quoi cela nous empêcherait d’être un vrai couple. Tous nos amis nous considèrent comme tels. Nous n’avons pas l’impression de précarité. En revanche, nous apprécions énormément ce sentiment de liberté que nous procure l’indépendance et puis, sincèrement, je n’ai pas très envie de jouer les maîtresses de maison, ni de laver le linge de mon homme, etc. Être une compagne autonome, c’est plus gratifiant et, pour moi, bien plus agréable ! »
Les avantages et les limites du couple LAT
Ce témoignage présente les aspects positifs de ce mode de vie : préservation de l’autonomie, maintien du désir par la distance, évitement des conflits domestiques, égalité réelle dans la répartition des tâches (puisque chacun gère son propre espace). Ces avantages ne sont pas négligeables, surtout pour des femmes qui ont vu leurs mères ou grands-mères s’épuiser dans le travail domestique non reconnu. « Ne pas jouer les maîtresses de maison » n’est pas un caprice — c’est le refus d’une assignation genrée qui a longtemps maintenu les femmes dans la dépendance et l’invisibilité.
Mais ce mode de vie pose aussi des questions. Que se passe-t-il si l’un veut davantage d’engagement et l’autre non ? Comment gère-t-on l’arrivée d’enfants dans cette configuration ? Et surtout : cette distance physique ne sert-elle pas parfois à éviter l’intimité émotionnelle véritable ? Il est plus facile de maintenir une image idéalisée de l’autre quand on ne le voit que deux ou trois fois par semaine dans des contextes choisis. La confrontation au réel de l’autre — ses mauvaises humeurs, ses petites manies agaçantes, sa fatigue, sa vulnérabilité — n’a lieu que ponctuellement. On peut ainsi maintenir longtemps une illusion de perfection relationnelle qui se fracasserait peut-être à l’épreuve du quotidien.
Pour le pervers narcissique, cette configuration est idéale. Elle lui permet de maintenir plusieurs relations simultanées (puisque sa partenaire ne voit qu’une fraction de son temps), de garder un contrôle total sur son image (puisqu’il ne se montre qu’à doses homéopathiques), et d’échapper à tout engagement profond (puisque « c’est le mode de fonctionnement qu’on a choisi »). Valentine raconte comment son compagnon a utilisé ce prétexte pendant trois ans avant qu’elle ne découvre qu’il vivait en réalité avec une autre femme dans son appartement « personnel ».
Faire couple aujourd’hui : la « relation pure »
Qu’est-ce qu’une relation pure ?
Faire couple aujourd’hui, ce n’est plus nécessairement partager un quotidien. C’est se déclarer un couple. Se déclarer un couple, oui, mais comment, si l’on ne se marie plus ? Paradoxalement, ce genre de couple met l’accent sur le lien affectif. Comme le souligne François de Singly, la famille actuelle est une famille « relationnelle » : dans les foyers contemporains, « les relations affectives ont pris le pas sur les contraintes ». Fini le temps des mariages arrangés ou des unions d’intérêt décidées par les parents ! Déjà, dans le couple « moderne », celui des années 1970, chacun préservait sa vie ; l’amour, le couple étaient moins fusionnels.
Aujourd’hui, la rupture est considérée comme possible dès le début de la relation. On appelle cela la « relation pure » : une union égalitaire où l’autonomie de chacun est respectée. Seul le lien affectif garantit l’existence de ce couple ; aucune loi supérieure, aucun principe n’impose qu’il dure, si ce n’est la satisfaction que les partenaires en retirent. Elle est donc définie comme « pure » parce que nul autre critère n’entre en compte.
Ce concept de « relation pure », développé par le sociologue Anthony Giddens, représente un idéal démocratique appliqué à la vie privée. Plus de contraintes externes, plus de conventions sociales oppressives, plus d’obligations légales — seulement deux individus libres qui choisissent de rester ensemble tant que la relation leur apporte de la satisfaction. Cette vision est séduisante et émancipatrice en théorie. Elle suppose cependant une égalité réelle entre les partenaires (égalité économique, sociale, psychologique) qui est loin d’être toujours réalisée dans les faits.
La sexualité « plastique »
Dans ce type de couple, la sexualité est « plastique », dissociée de la reproduction, parfois même de la fidélité.
« Nous n’avons pas besoin de nous jurer une éternelle fidélité, affirment en chœur Cécile et Franck, qui pourtant vivent ensemble. De toute façon, ça ne servirait à rien. Quand on a vraiment envie de faire quelque chose, on le fait, même s’il faut se cacher. Nous, on se dit tout… ou presque. »
« Quand Franck sort, je ne lui demande pas s’il va voir ses copains, ni dans quel restaurant il va dîner. Nous avons conclu seulement un accord : ne jamais découcher… Je ne pense pas, d’ailleurs, qu’il ait des aventures ; on s’entend très bien, dit Cécile avant d’ajouter : quoi qu’il en soit, il vaut mieux ça plutôt que de se mentir ou se faire des illusions et se séparer quelques années plus tard. »
Quand la liberté cache l’inégalité
Ce témoignage révèle une configuration fréquente : un discours de liberté et de transparence qui masque en réalité une asymétrie et une anxiété sous-jacente. « On se dit tout… ou presque » — ce « ou presque » dit beaucoup. « Ne jamais découcher » — pourquoi cette règle précisément si tout est si libre ? « Je ne pense pas qu’il ait des aventures » — pourquoi cette précision si la question ne se pose pas ? Le discours conscient (« On est libre, on se fait confiance ») contredit les indices inconscients (les règles, les doutes, les précautions).
De plus, cette « liberté » est-elle vraiment réciproque ? Qui a proposé cet arrangement ? Qui en profite réellement ? Souvent, dans ces couples soi-disant « libres », c’est l’un des deux qui use de cette liberté tandis que l’autre se contente de l’accepter par peur de paraître possessif, arriéré, « pas assez moderne ». Cécile ne demande pas où va Franck, mais est-ce parce qu’elle n’a pas envie de savoir ou parce qu’elle n’ose pas demander ? Le pervers narcissique excelle à imposer ces arrangements sous couvert de modernité et de liberté. « Tu es jalouse ? C’est toi qui as un problème ! Moi je suis pour la liberté dans le couple. » Cette injonction à la liberté devient paradoxalement une contrainte : la victime doit accepter l’inacceptable sous peine d’être accusée d’être rétrograde ou névrosée.
Les limites du modèle autonome : disparition de l’altérité
L’amour « fissionnel »
Tous les couples n’acceptent pas ce laxisme. Beaucoup préfèrent opter pour une autonomie « limitée », une harmonie qui leur paraît plus stable et plus sûre. L’aspect positif de ce schéma est que, pour faire perdurer le lien, les deux partenaires sont a priori contraints au respect mutuel. Or cet apprentissage du respect d’autrui est évidemment bénéfique. C’est ce que le sociologue Serge Chaumier appelle l’amour « fissionnel » : être ensemble n’implique plus de tout partager.
Ce concept d’amour « fissionnel » (par opposition à « fusionnel ») désigne une relation où chacun maintient son noyau identitaire intact tout en partageant certains aspects de sa vie avec l’autre. C’est un modèle qui peut effectivement être sain, équilibré, respectueux. Il suppose cependant que cette « fission » soit choisie mutuellement et appliquée symétriquement. Le danger surgit quand l’un impose sa vision de l’autonomie à l’autre, ou quand l’autonomie devient un prétexte pour échapper à toute intimité véritable.
La disparition progressive de l’altérité
Cependant, cette évolution des usages et des façons de vivre dénote aussi la disparition progressive de l’altérité. L’autre, à force d’être tenu à distance, n’existe plus. On vit en pensant à soi-même, pour soi et avec soi, avec ses propres ambitions professionnelles, selon son gré et ses désirs. Par le passé, la spécificité du couple résidait notamment dans sa capacité à surmonter les différences. On savait « faire des concessions ». Aujourd’hui, cette hypothèse est presque considérée comme ridicule. La solidarité, de manière générale et pas seulement entre conjoints, est beaucoup moins répandue qu’autrefois. L’engagement est a minima. La philosophie du chacun pour soi règne, et cette négligence à l’égard de l’autre ouvre la porte à toutes les manipulations, puisque le respect a disparu.
Cette analyse est cruciale : la « disparition de l’altérité » signifie que l’autre n’est plus vraiment reconnu comme un sujet distinct, avec ses besoins propres, ses limites, sa vulnérabilité. Il devient un accessoire de mon projet de vie, une option que je garde tant qu’elle me satisfait et que j’abandonne dès qu’elle me contrarie. Cette instrumentalisation de l’autre — qui n’est plus une personne mais une fonction — crée le terreau idéal pour la manipulation. Le pervers narcissique ne fait que pousser à l’extrême une logique déjà présente dans le couple postmoderne : l’autre n’existe que pour me satisfaire, et s’il ne me satisfait plus, je le jette.
Le refus de la concession comme norme
« Faire des concessions » est désormais perçu comme une faiblesse, un renoncement à soi-même, une forme d’aliénation. Cette vision est paradoxale. D’un côté, elle protège effectivement contre certaines formes d’oppression où l’un des conjoints (généralement la femme) sacrifiait systématiquement ses désirs, ses projets, ses besoins au profit de l’autre. De ce point de vue, le refus de la concession systématique est un progrès. De l’autre, elle rend impossible toute relation durable, car aucun couple ne peut fonctionner sans que chacun accepte parfois de renoncer à quelque chose pour l’autre.
La question n’est donc pas « faut-il faire des concessions ? » (la réponse est oui, nécessairement) mais « ces concessions sont-elles réciproques et équitables ? ». Dans un couple sain, chacun renonce parfois à quelque chose, et ces renoncements s’équilibrent sur la durée. Dans une relation toxique, c’est toujours la même personne qui concède, qui s’adapte, qui renonce. Le discours contemporain sur l’autonomie et le refus des concessions permet au pervers narcissique de ne jamais rien concéder (« Je ne fais pas de compromis, c’est ma personnalité ») tout en exigeant que sa partenaire s’adapte en permanence (« Tu es trop rigide, tu ne sais pas t’adapter »).
Quand l’absence de respect ouvre la porte à la manipulation
Cette « négligence à l’égard de l’autre » dont parle le texte se manifeste de multiples façons : ne pas tenir compte de ses sentiments, ne pas respecter ses limites, ne pas honorer ses engagements, ne pas s’excuser de ses erreurs, ne pas reconnaître sa contribution. Dans un contexte où ces comportements deviennent normalisés sous couvert de « liberté » et d’« autonomie », il devient très difficile pour les victimes de nommer ce qu’elles subissent. « Il est juste très indépendant », « Elle a besoin d’espace », « C’est la façon moderne de vivre en couple » — ces rationalisations masquent souvent des formes de harcèlement moral et de négligence émotionnelle qui, dans un cadre plus traditionnel, seraient immédiatement identifiées comme problématiques.
Lou raconte comment son compagnon refusait systématiquement de l’accompagner à des événements familiaux ou amicaux, invoquant son « besoin d’autonomie ». Pendant des années, elle a accepté cette situation, se disant qu’elle devait respecter sa « personnalité indépendante ». Ce n’est qu’après la séparation qu’elle a réalisé qu’il n’était jamais là quand elle avait besoin de lui, qu’il utilisait l’« autonomie » comme excuse pour ne jamais s’investir dans la relation, pour ne jamais être solidaire de ses joies ou de ses peines. L’autonomie était devenue un alibi pour l’égoïsme le plus complet.
Le pervers narcissique et la précarité relationnelle
Exploiter l’ambiguïté du non-engagement
Le pervers narcissique prospère dans ce contexte de précarité relationnelle. Tous les éléments du couple postmoderne — refus du mariage, valorisation de l’autonomie, normalisation de la rupture, disparition de l’altérité — lui offrent des alibis parfaits pour échapper à tout engagement tout en maintenant sa partenaire sous contrôle. « On n’a pas besoin de se marier pour s’aimer », dit-il — ce qui lui permet de garder toutes les portes ouvertes. « Chacun sa vie », affirme-t-il — ce qui lui permet de mener une double ou triple vie sans rendre de comptes. « Si tu n’es pas contente, tu peux partir », assène-t-il — ce qui transforme la victime en coupable si elle ose se plaindre.
Cette instrumentalisation des valeurs modernes d’autonomie et de liberté est particulièrement perverse (au sens clinique du terme). Le manipulateur retourne contre sa victime les idéaux progressistes qu’elle a intégrés. Elle croit en l’égalité homme-femme ? Il l’accusera de vouloir le contrôler si elle demande où il va. Elle valorise l’autonomie ? Il disparaîtra pendant des jours sans donner de nouvelles. Elle refuse les rôles traditionnels ? Il n’assumera aucune responsabilité domestique ou parentale. Chaque valeur émancipatrice est détournée et utilisée comme instrument d’oppression.
La relation sans statut comme piège
L’absence de statut juridique clair facilite aussi grandement l’emprise. Une femme mariée qui subit de la violence psychologique peut au moins nommer sa situation : « Mon mari me maltraite. » Elle peut divorcer, obtenir une pension alimentaire, faire reconnaître ses droits. Une femme en union libre, surtout en configuration LAT, se trouve dans un flou total. Est-elle vraiment en couple ? Peut-elle se plaindre de quelqu’un qu’elle ne voit que deux fois par semaine ? A-t-elle le droit d’exiger quoi que ce soit de quelqu’un qui ne lui a rien promis ? Cette incertitude statutaire maintient la victime dans la confusion et l’empêche de poser des limites claires.
De plus, sans statut juridique, la séparation est plus facile — ce qui paradoxalement peut rendre plus difficile de partir. « Il suffit d’une lettre recommandée », certes, mais cela signifie aussi que lui peut partir du jour au lendemain sans aucune conséquence. Cette épée de Damoclès permanente crée une anxiété chronique chez la partenaire qui, consciemment ou non, essaie de « bien se conduire » pour ne pas le perdre. Elle accepte plus, tolère plus, se plaint moins — parce qu’elle sait qu’il peut disparaître à tout moment sans même avoir à se justifier. Le pervers narcissique utilise délibérément cette précarité pour maintenir sa partenaire en état de soumission volontaire.
Comment reconnaître la manipulation sous couvert de modernité
Plusieurs signes permettent de distinguer une vraie autonomie choisie mutuellement d’une manipulation déguisée en modernité. D’abord, la réciprocité : ce qui vaut pour l’un vaut pour l’autre. Si monsieur peut sortir sans prévenir, madame aussi. Si madame doit raconter sa journée dans les détails, monsieur aussi. L’absence de réciprocité est le premier indice qu’on n’est pas dans une relation égalitaire mais dans une relation de domination.
Ensuite, le respect : même dans un couple très autonome, il y a un socle de respect minimal. On tient compte des sentiments de l’autre. On honore ses engagements. On ne disparaît pas pendant des jours sans nouvelles. On ne ment pas. On ne trompe pas (ou, dans les couples non-monogames, on respecte les accords conclus). Si ce respect de base fait défaut, l’« autonomie » n’est qu’un alibi pour l’égoïsme et la manipulation.
Enfin, la satisfaction : une relation saine, même non-conventionnelle, vous rend globalement heureux(se). Vous vous sentez aimé(e), valorisé(e), soutenu(e). Si vous êtes en permanence anxieux(se), malheureux(se), frustré(e), en train de vous demander où vous en êtes, ce n’est pas une relation autonome épanouissante — c’est une relation toxique qui utilise le vocabulaire de l’autonomie pour masquer sa nature destructrice. Ambre témoigne : « Il disait qu’on était un couple moderne, libre. En réalité, j’étais seule tout le temps, je ne savais jamais où il était, je pleurais tous les soirs. Ce n’était pas de la liberté — c’était de l’abandon déguisé. »
Conclusion : Entre liberté et lien, réinventer le couple
L’évolution du couple depuis un demi-siècle témoigne d’une transformation radicale de nos conceptions de l’amour, de l’engagement, de la vie commune. Le mariage n’est plus une obligation sociale mais un choix. L’union libre, le Pacs, le couple LAT offrent des alternatives qui correspondent mieux aux aspirations contemporaines d’autonomie et d’égalité. Le divorce facilité permet aux victimes de sortir de relations destructrices. Ces évolutions sont, à bien des égards, des progrès qui méritent d’être salués.
Mais cette liberté nouvelle crée aussi des zones d’ombre où la manipulation peut prospérer. Le refus du mariage peut masquer un refus d’engagement. La valorisation de l’autonomie peut justifier l’égoïsme. La normalisation de la rupture peut empêcher tout investissement profond. La disparition de l’altérité peut transformer l’autre en objet interchangeable. Le pervers narcissique utilise brillamment ces ambiguïtés du couple postmoderne pour échapper à toute responsabilité tout en maintenant sa partenaire sous contrôle.
Le défi du couple contemporain est donc de trouver un équilibre subtil : préserver l’autonomie sans tomber dans l’égoïsme, valoriser la liberté sans renoncer à l’engagement, accepter la possibilité de la rupture sans vivre dans la précarité permanente, maintenir l’altérité sans perdre le lien. Cet équilibre n’a rien d’évident — il se construit jour après jour, se négocie en permanence, demande une vigilance constante. Il suppose surtout une réciprocité réelle, un respect mutuel, une volonté partagée de faire exister l’autre comme sujet et non comme objet.
Pour les victimes qui découvrent qu’elles ont vécu non pas dans un couple moderne et égalitaire mais sous l’emprise d’un manipulateur qui utilisait le vocabulaire de la modernité pour masquer sa domination, cette prise de conscience est douloureuse mais libératrice. Non, vous n’étiez pas « trop possessive » parce que vous vouliez savoir où était votre partenaire. Non, vous n’étiez pas « pas assez moderne » parce que vous souffriez de son absence permanente. Non, vous n’étiez pas « coincée » parce que vous refusiez qu’il vous traite comme une option parmi d’autres. Vous aviez simplement des besoins humains légitimes — besoin d’être aimée, d’être respectée, d’être considérée — que votre partenaire refusait de satisfaire sous couvert de liberté et d’autonomie. La vraie modernité n’est pas l’absence d’engagement — c’est la capacité de construire des engagements choisis, réciproques, respectueux. Un couple sans mariage peut être aussi solide qu’un couple marié, à condition qu’il repose sur un socle de respect, de réciprocité et d’altérité. Sans ce socle, quelle que soit sa forme juridique, ce n’est pas un couple — c’est une prison déguisée en espace de liberté.
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FAQ : Questions fréquentes sur le mariage et les nouvelles formes de couple
Le refus du mariage est-il toujours un signe de manipulation ?
Non, le refus du mariage n’est pas en soi un signe de manipulation. De nombreux couples fonctionnent très bien en union libre, par conviction personnelle, par désir d’autonomie, ou simplement parce qu’ils ne ressentent pas le besoin d’une validation institutionnelle de leur amour. Le mariage n’est plus une obligation sociale ni une garantie de bonheur — certains couples mariés sont profondément malheureux, tandis que certains couples non-mariés vivent des relations épanouissantes et durables.
Ce qui distingue un choix légitime de ne pas se marier d’une manipulation, c’est la réciprocité de ce choix et les motivations sous-jacentes. Dans un couple sain, la décision de ne pas se marier est discutée, négociée, acceptée par les deux partenaires. Chacun exprime ses raisons, écoute celles de l’autre, et on parvient à un accord qui satisfait les deux. Si l’un souhaite se marier et l’autre non, on en parle ouvertement et on cherche un compromis — peut-être un Pacs, peut-être attendre quelques années, peut-être renoncer au mariage mais créer d’autres formes de sécurisation de la relation.
Le refus du mariage devient problématique quand il est imposé unilatéralement, quand il s’accompagne d’un refus de tout engagement (« Je ne veux ni me marier, ni me pacser, ni avoir d’enfant, ni vivre ensemble »), quand les raisons invoquées sont floues ou changeantes (« Plus tard », « Quand j’aurai réussi professionnellement », « Quand j’aurai résolu mes problèmes personnels » — mais ce moment n’arrive jamais), ou quand il sert à maintenir délibérément la partenaire dans l’insécurité. Le pervers narcissique refuse systématiquement tout ce qui pourrait l’engager ou le rendre comptable : pas de mariage, pas de cohabitation, pas d’enfant, pas de compte joint, pas de présentation à la famille. Cette accumulation de refus crée un statut précaire où la victime n’a aucune légitimité pour exiger quoi que ce soit.
Comment savoir si mon couple LAT (Living Apart Together) est sain ou s’il sert à masquer un désengagement ?
Le couple LAT peut être une configuration parfaitement saine et épanouissante pour certaines personnes, surtout celles qui ont un fort besoin d’autonomie, qui ont vécu des expériences négatives de cohabitation, ou qui ont des contraintes professionnelles rendant la vie commune difficile. Mais il peut aussi servir de prétexte à un partenaire manipulateur pour maintenir plusieurs relations simultanées, pour échapper à tout engagement profond, ou pour garder un contrôle total sur son image et sa vie privée.
Plusieurs critères permettent de distinguer un couple LAT sain d’une manipulation. D’abord, la fréquence et la qualité des rencontres : dans un couple LAT sain, on se voit régulièrement (plusieurs fois par semaine généralement), les rencontres sont planifiées à l’avance, et chacun fait des efforts pour maintenir le lien malgré la distance. Si votre partenaire est constamment « trop occupé », si les rendez-vous sont toujours annulés au dernier moment, si vous avez l’impression de devoir « mendier » son attention, c’est un signe préoccupant.
Ensuite, la transparence : même sans cohabiter, les partenaires d’un couple LAT sain connaissent généralement les grandes lignes de la vie de l’autre. Vous savez où il/elle habite, où il/elle travaille, qui sont ses amis proches, comment il/elle occupe ses week-ends. Vous avez rencontré sa famille et ses amis. Il/Elle vous présente ouvertement comme son/sa partenaire. Si au contraire votre partenaire maintient une opacité totale sur sa vie, si vous ne savez jamais vraiment ce qu’il/elle fait quand vous n’êtes pas ensemble, si vous n’avez jamais rencontré personne de son entourage, c’est un drapeau rouge majeur. Cette opacité permet souvent de dissimuler une double vie.
Troisièmement, l’engagement émotionnel : un couple LAT sain implique les deux partenaires émotionnellement. Vous vous soutenez mutuellement dans les difficultés, vous célébrez ensemble les réussites, vous faites des projets à long terme (même s’ils ne concernent pas la cohabitation), vous avez le sentiment d’être important(e) pour l’autre. Si vous avez constamment l’impression d’être une option parmi d’autres, si votre partenaire est absent dans les moments où vous avez besoin de lui/elle, si vous ne faites jamais de projets au-delà de la prochaine semaine, c’est que quelque chose cloche.
Enfin, écoutez votre ressenti : êtes-vous globalement heureux(se) dans cette configuration ? Vous sentez-vous aimé(e), valorisé(e), en sécurité ? Ou êtes-vous en permanence anxieux(se), frustré(e), en train de vous demander où vous en êtes ? Un couple LAT sain vous rend heureux(se) — ce n’est pas une configuration par défaut que vous subissez mais un choix qui vous convient. Si vous êtes constamment malheureux(se), c’est probablement que cette configuration ne vous convient pas, ou que votre partenaire l’utilise pour vous maintenir à distance plutôt que par véritable conviction personnelle.
Est-il possible de construire une relation durable et engagée sans mariage ni cohabitation ?
Oui, absolument. La durabilité et la profondeur d’une relation ne dépendent pas de sa forme juridique ou de sa configuration domestique, mais de la qualité du lien entre les partenaires. Il existe des couples non-mariés et non-cohabitants qui durent des décennies et sont profondément engagés l’un envers l’autre, tandis que des couples mariés et vivant ensemble peuvent être superficiels, distants, ou malheureux. L’engagement n’est pas une question de statut — c’est une question d’intention, de réciprocité, de respect mutuel.
Cependant, construire une relation durable sans les marqueurs traditionnels d’engagement (mariage, cohabitation) demande des efforts supplémentaires précisément parce que ces marqueurs manquent. Dans un couple marié vivant ensemble, l’engagement est en quelque sorte « objectivé » par la situation elle-même : vous vivez dans le même lieu, vous avez un statut légal commun, vous partagez peut-être des biens, des enfants, des responsabilités. Cette objectivation crée une forme de sécurité et de prévisibilité. Dans un couple non-marié et non-cohabitant, tout repose sur la bonne volonté des partenaires et la solidité du lien affectif. C’est à la fois plus fragile et potentiellement plus authentique.
Pour qu’un tel couple soit durable et engagé, plusieurs éléments sont nécessaires. D’abord, une communication excellente : il faut pouvoir parler ouvertement de ses besoins, de ses attentes, de ses peurs, de ses frustrations. Ensuite, des rituels partagés : même sans cohabiter, créer des moments réguliers ensemble, des traditions communes, des projets partagés qui donnent une structure et une continuité à la relation. Puis, une présence dans la vie de l’autre : connaître ses amis, sa famille, son travail, ses préoccupations. Être là dans les moments importants. Célébrer ensemble, traverser ensemble les difficultés.
Il faut aussi — et c’est crucial — un accord explicite sur ce que signifie « être en couple » pour vous deux. Qu’attendez-vous l’un de l’autre ? Quelle forme prend votre engagement ? Êtes-vous exclusifs sexuellement ou non ? Comment gérez-vous les finances ? Que se passe-t-il en cas de maladie, de chômage, de difficultés ? Toutes ces questions qui sont partiellement réglées par le cadre institutionnel du mariage ou de la cohabitation doivent être discutées et négociées explicitement dans un couple non-conventionnel. Cette clarification peut sembler peu romantique, mais elle est indispensable pour éviter les malentendus et les déceptions. Un couple sans mariage ni cohabitation peut donc être absolument durable et profondément engagé — à condition que cet engagement soit conscient, choisi, réciproque, et régulièrement réaffirmé dans les actes et pas seulement dans les paroles.
Comment le pervers narcissique utilise-t-il la « modernité » du couple pour manipuler sa partenaire ?
Le pervers narcissique est remarquablement adaptable : il utilise le contexte culturel de son époque pour justifier ses comportements. Dans une société traditionnelle, il invoquait son statut de chef de famille pour légitimer sa domination. Dans notre société contemporaine qui valorise l’autonomie, la liberté, l’égalité, il se présente comme progressiste et moderne pour masquer ses intentions réelles. Cette adaptation est l’une des raisons pour lesquelles il est si difficile à identifier — il parle le langage de l’émancipation tout en pratiquant l’oppression.
Concrètement, il détourne chaque valeur moderne à son profit. L’autonomie ? Il l’invoque pour disparaître pendant des jours sans donner de nouvelles, pour refuser de rendre compte de ses déplacements, pour maintenir une opacité totale sur sa vie. Mais cette « autonomie » n’est jamais réciproque : il exige de savoir où est sa partenaire à chaque instant, de contrôler ses fréquentations, de valider ses activités. La liberté ? Il affirme qu’« on ne s’appartient pas », que « chacun doit pouvoir faire ce qu’il veut » — ce qui lui permet d’avoir des aventures, de mentir, de trahir. Mais si sa partenaire ose revendiquer la même liberté, elle est immédiatement accusée d’infidélité, de trahison, d’égoïsme.
Le refus du mariage ? Il le présente comme une position de principe, une conviction profonde contre l’institution patriarcale. En réalité, il refuse simplement tout ce qui pourrait l’engager juridiquement, lui créer des obligations, limiter sa liberté de partir quand bon lui semble. Il utilise le vocabulaire féministe (« Le mariage, c’est une institution patriarcale qui opprime les femmes ») pour obtenir ce qu’un machiste traditionnel obtiendrait par la force (une partenaire sans droits, sans protection, sans statut). L’égalité dans le couple ? Il affirme y croire fermement, se présente comme un homme moderne et féministe. Puis il s’arrange pour que sa partenaire assume toutes les tâches domestiques, toute la charge mentale, toute la gestion émotionnelle de la relation — tout en continuant à affirmer qu’ils sont « égaux ».
La technique centrale du manipulateur est le retournement : il transforme votre plainte légitime en preuve de votre inadéquation. Vous lui reprochez de ne jamais être là ? « Tu es étouffante, tu veux m’emprisonner, tu n’es pas assez moderne. » Vous souffrez de son absence d’engagement ? « Tu es dans des schémas patriarcaux, tu veux me forcer à me marier, tu ne respectes pas ma liberté. » Vous voulez savoir où il va ? « Tu es possessive, jalouse, tu as des problèmes d’abandon, tu devrais consulter. » Ce retournement est d’autant plus efficace qu’il s’appuie sur des valeurs que la victime a sincèrement intégrées. Elle croit effectivement en l’autonomie, en la liberté, en l’égalité. Quand on lui dit qu’elle est « pas assez moderne », « trop possessive », « dans des schémas patriarcaux », elle le croit. Elle intériorise ces accusations et s’efforce de corriger ses prétendus défauts — c’est-à-dire d’accepter encore plus de comportements inacceptables.
Pour se protéger de cette manipulation, il faut comprendre que les valeurs progressistes — autonomie, liberté, égalité — ne sont pas incompatibles avec des besoins humains fondamentaux comme le besoin d’être aimé(e), d’être respecté(e), d’avoir de la sécurité affective. Vous pouvez être féministe et vouloir vous marier. Vous pouvez croire en l’autonomie et vouloir que votre partenaire vous informe de ses déplacements. Vous pouvez valoriser la liberté et refuser que votre partenaire vous trompe. La vraie modernité n’est pas l’absence de toute attente ou de tout engagement — c’est la capacité de négocier des accords qui conviennent aux deux partenaires, de respecter ces accords, et de reconnaître l’autre comme un sujet avec des besoins légitimes plutôt que comme un objet à manipuler.