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Épisode 16 : Profil de la victime

Rédaction : Pascal Couderc, psychologue, psychanalyste et auteur, président du comité scientifique de pervers-narcissique.com

Épisode 16 : Profil de la victime

L’intitulé amène d’emblée à se poser la question : victime de qui ? De l’autre ou d’elle-même ? De l’autre, sans aucun doute, mais des caractéristiques sont nécessaires pour devenir victime – certains vont jusqu’à dire complice – d’un pervers narcissique.

Les sources de la dépendance chez la victime de pervers narcissique

Dans la dyade mère-nourrisson n’existe que l’intensité du plein où rien ne manque. Si la mère est défaillante, tout manque et c’est le vide. À l’intérieur de cette relation précoce, il n’y a pas de limite entre la mère et l’enfant, qui considère le corps de sa mère comme le prolongement du sien (c’est aussi vrai pour la mère, qui vit la relation dans la fusion). Cela signifie que si la mère n’est pas « présente », c’est, pour l’enfant, une partie de lui-même qui vient à manquer, une amputation.

Or, ce phénomène semble avoir existé dans l’enfance du pervers narcissique comme dans celle de sa victime.

Une mère absente, dépressive (c’est une forme d’absence) ou trop occupée «ailleurs», qui abandonne son enfant pour faire autre chose de « plus important », risque de provoquer cet « arrachement », responsable d’une réaction d ’«agrippement» que les psychanalystes anglo-saxons ont théorisé.
Plus la séparation est menaçante, plus l’agrippement est intense et plus le manque est intolérable. Cette attente permanente, cette souffrance, vont créer un modèle affectif relationnel chez les adultes que ces enfants deviennent. Ils présenteront une fragilité, des limites, voire une absence de limites entre eux-mêmes et les autres. À la moindre distance posée par l’autre, le vécu d’abandon se réactive, provoquant arrachement et surtout, souffrance. Ainsi, la dépendance sera au cœur de la relation : il vaudra mieux la souffrance que rien du tout !

On peut, en ce sens, affirmer que le pervers narcissique et sa partenaire ont en commun une altération narcissique, qu’il existe un parallèle entre eux deux.

De la dépendance affective au pervers narcissique

La dépendance affective est donc une prédisposition de la femme – qui se situe en amont de sa relation – à devenir victime de pervers narcissique. C’est la rencontre qui va révéler chez cette femme une certaine fragilité, quelques traits particuliers qui étaient déjà présents mais avec lesquels elle vivait sans trop de souffrance en apparence, comme Jeanne :

« Depuis peu, j’ai compris que j’ai toujours ressenti un vide affectif, sans me l’avouer. Et c’est sans doute pour cette raison que j’ai autant investi ma relation avec Alain, Peu après ma naissance, mon père, qui enseignait dans un lycée, a quitté ma mère. Elle est tombée dans une profonde dépression, m’a-t-elle raconté des années plus tard. Elle a même été hospitalisée deux fois, à cette époque. Je crois qu’elle a beaucoup négligé le bébé que j’étais… D’ailleurs, mes grands-parents m’ont prise chez eux pendant presque deux ans… »

La femme a donc une demande initiale, dont le pervers narcissique va s’emparer. Elle est en  demande d’une relation pour l’aider à se structurer, à trouver confiance en soi et  tenter de compenser un narcissisme défaillant.

Lui, perçoit parfaitement la nature de cette attente : c’est sa porte d’entrée dans la relation. Il a besoin de ces paramètres chez l’autre pour en faire sa victime.

Il croit alors compenser son propre vide, ce qui est vain : là où rien ne s’est inscrit, rien ne s’inscrira, cycle sans fin… À l’inverse, la femme cherche à se voir dans le regard de l’autre pour se sentir exister ; à se transformer en l’objet de son désir.  Le fait d’exister à ses yeux l’aide à exister pour elle-même.

Identification du parent défaillant au pervers

Pour Jeanne, c’est bien la relation avec sa mère qui semble avoir déterminé la fragilité qui l’a prédisposée a rencontré un pervers narcissique.

«J’avais 5 ans quand je suis retournée vivre avec mes parents, mais je me demandais toujours si ma mère m’aimait vraiment. J’avais l’impression de l’agacer, d’être de trop. Elle s’énervait quand je l’approchais : “Tu es sans arrêt dans mes pattes !” disait-elle. (…) Pendant des années, à  table, dans la rue, partout, j’ai entendu : “Tu vas tomber ; tu n’y arriveras pas ; ce n’est pas faisable…”»

On voit bien ici comment le regard de la mère influe sur l’image que l’enfant se forge à sa propre encontre. Ce regard, pour le moins, manque de bienveillance et le dévalorise.

Le message reçu est : « Je ne suis pas capable d’exister par moi seule. »

Or la parole des parents a un statut de vérité pour l’enfant. « S’ils le disent, c’est que c’est vrai. » Plus tard, cela amènera la femme à croire les flatteries du pervers narcissique, lors de son entreprise de séduction. Et c’est par le biais de cette croyance que se développe la dépendance à l’autre. C’est une véritable addiction, comme une drogue. Il existe un lien inconscient à cet autre, qui aurait la fonction de « réparer ». Mais la femme doute, elle n’a jamais réussi à « rétablir » l’amour de sa mère, à changer le regard que cette dernière avait sur elle et se sent donc impuissante. Cela explique qu’aux côtés du pervers narcissique, elle alternera des moments d’espoir (« Je vais le changer ») et des périodes de découragement, de soumission docile (qui équivalent au renoncement). On lui a appris à être impuissante…

L’histoire de Jeanne confirme entièrement ce rapport déficient à un parent, la mère, en l’occurrence :

«Elle me comparait toujours à ma cousine. À l’école, au lycée, quand j’avais une bonne note, 18, on me demandait pourquoi je n’avais pas eu 20. Quand ma cousine avait 15 en maths, maman disait : “Comme elle est brillante !” Je crois que si je lui avais décroché la lune, elle m’aurait demandé les étoiles.»

L’enfant intériorise l’exigence de sa mère en la majorant, essaie d’être parfait et, comme c’est impossible, il se trouve en situation d’échec permanent. C’est une course infinie vers un but inaccessible.

Les ressorts de la manipulation perverse

Et voici que le pervers narcissique va appuyer sur cette supposée indignité, jusqu’à provoquer une douleur insupportable pour la calmer ensuite.
De son côté, la victime déploiera beaucoup d’entrain pour tenter de « nourrir » cet homme.

Ainsi, elle aura souvent au début ce que nous pourrions schématiquement nommer le « syndrome de l’infirmière » car le manipulateur pervers est très habile à susciter la générosité.

Il donne l’impression qu’il a, lui aussi, une demande d’affection ou un besoin de soutien moral. La femme qu’il a prise comme cible est alors capable de déployer des trésors d’énergie pour « s’occuper » de lui, sans se rendre compte qu’en réalité sa sollicitude répugne à cet homme et qu’elle est inutile.
En fait, elle n’en fera jamais assez, commettra toujours des erreurs car c’est le but du pervers narcissique, qui cherche le reproche systématique. Dans le : « Tu n’es vraiment bonne à rien ! », il faut entendre : « pas même à me rendre heureux » !

Jeanne parle justement d’Alain en des termes éloquents : « Après les heurts et les disputes, même après avoir subi les pires humiliations, j’avais toujours, toujours, au bout de quelques heures, quelques journées, un sentiment de pitié envers lui. (…)Puis tout reprenait comme d’habitude, c’est-à-dire que nous recommencions un cycle. Il redevenait peu à peu absent, puis méprisant, agressif.»

Dans les deux cas, il y a un manque d’altérité, l’autre n’existe pas pour le pervers narcissique, et lui existe trop pour elle. Elle, n’existe pas pour elle-même et risque l’effondrement narcissique, littéralement possédée qu’elle est par l’autre, censé jouer le rôle de réparateur. Elle en a besoin, elle le magnifie, veut se sentir son élue : c’est cela qui l’amène à supporter l’insupportable.

Pour la victime, se joue l’illusion d’une relation fusionnelle (tout comme dans la relation mère/nourrisson). La conséquence : la douleur due à l’impossibilité d’atteindre cet objectif, de réaliser son fantasme.

Le portrait de la victime

La victime de pervers narcissique n’a rien de masochiste, elle ne cherche pas cette douleur et l’apprécie encore moins ! Elle ne prend aucun plaisir aux discussions acerbes qui se déclenchent si elle ose contredire son compagnon. Elle a envie d’aider et d’être aimée, pas de souffrir !

De plus, elle ne voit pas qu’elle sert d’objet car elle croit exister aux yeux de l’autre. Sa candeur se marie avec sa fraîcheur vive, sa générosité. C’est une femme appliquée, intelligente et, même si elle a une estime de soi altérée, elle a nombre de points forts et de qualités.

C’est aussi ce qui suscite l’intérêt du pervers narcissique : il ne vise que les femmes qui en valent la peine, des êtres « riches », nourrissants.

Nous avons mis en lumière, ici, la brèche dans laquelle se glisse le manipulateur pervers. On voit que la femme susceptible de succomber à son assaut, porte en elle des traces de dépendance affective. Ces dernières vont au-delà de sa relation avec lui. Plusieurs portraits de femme peuvent se détacher :

  • Celle qui accorde « trop » d’importance à l’amour, qui investit les relations qu’elle vit de façon excessive, comme une solution à tout problèmes et
    « charge » ainsi toute histoire sentimentale d’un fardeau.
  • La femme pour qui l’amour est une obsession, qui n’arrive jamais à rompre même lorsqu’une liaison lui fait du mal ou qui éprouve un manque irraisonné de l’autre en son absence.
  • La femme qui se sent inutile ou « vide » sans l’autre : cette femme est prédisposée à tomber dans les bras d’un pervers narcissique

Les femmes doivent avoir conscience qu’elles ne sont pas seulement victime. Elles sont aussi actrices inconscientes de ce qui leur arrive. Cela leur permet de mieux mobiliser leurs ressources, lors d’une thérapie.
La victimisation a priori ne sert pas la cause des femmes, ni celle de personne en général.

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