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Parentification : quand l’adulte devient toxique pour son enfant

Rédaction : Pascal Couderc, psychologue, psychanalyste et auteur, président du comité scientifique de pervers-narcissique.com

La question de l’attirance revient, lancinante, après qu’une succession d’expériences malheureuses finit par installer l’idée d’une fatalité. Qu’est-ce qui, dans le physique, l’attitude ou autre, attire le pervers narcissique ? Pourquoi tel individu, et non tel autre ? Faut-il croire à une signature invisible, à un parfum psychique que seuls les prédateurs percevraient ?

Le besoin de trouver une logique à l’emprise, surtout lorsqu’elle se répète, est compréhensible. Mettre du sens sur le chaos, relier les points, chercher la cause plutôt que de rester seule face à l’angoisse d’avoir été choisie par l’autre, permet d’alléger la part de honte et de malaise. Cependant, s’il n’existe ni « aura maléfique » ni malédiction d’aucune sorte, il serait tout aussi trompeur d’affirmer qu’aucune constante ne se dégage. Les trajectoires d’emprise révèlent en effet des terrains psychologiques récurrents : un profil de vulnérabilité qui, sans condamner quiconque, rend plus probable la captation par un pervers narcissique, particulièrement quand surviennent certaines circonstances de vie difficiles ou fragilisantes.

Les constantes de la vulnérabilité

Certains profils combinent traits, croyances et blessures :

  • Estime de soi oscillante : non pas une absence totale de confiance, mais une vision de soi dépendante du regard d’autrui, attendant confirmation, fragile face au rejet.
  • Hypersensibilité relationnelle : peur du conflit, besoin d’harmonie, évitement de la confrontation, difficulté à poser un « non » clair.
  • Solitude perçue : sentiment de décalage, besoin intense d’appartenance, appréhension du vide relationnel.
  • Passé dépréciatif : enfance marquée par la critique, l’indifférence ou l’instabilité affective ; quête implicite de réparation dans le lien amoureux.
  • Loyauté extrême : fidélité à toute épreuve, capacité à endurer, à comprendre, à pardonner, jusqu’à l’épuisement psychique.
  • Idéalisme affectif : croyance que l’amour sauve tout, que la patience finit toujours par payer, que la souffrance est la preuve d’un attachement profond.

Ces constantes décrivent un « terrain d’exposition ». Lorsque le contexte extérieur tient, que les ressources sociales et symboliques sont suffisantes, la faille reste close. Mais qu’un choc survienne : rupture, deuil, déménagement, crise professionnelle, maladie, et la fragilité réentr’ouvre la porte. C’est là que la personnalité perverse repère une opportunité.

Le choix de la victime : lecture des failles et des élans

Le pervers narcissique ne dispose d’aucun sixième sens, mais d’un talent d’observation : il saisit, dans les micro-indices, le décalage infime entre force apparente et doute intérieur. Ce qui l’attire est la disponibilité à donner : écoute, soutien, explications, justification. Là où d’autres poseraient immédiatement une limite, la future victime propose une seconde chance, puis une troisième.

Lui, avance, recule, calibre son discours. Il serre, desserre. Quand la réponse est conciliante, il pousse plus loin ; quand elle se s’oppose, il se ravise pour mieux revenir.

Moments de bascule : quand la porte s’entrouvre

Il n’existe pas de victime universelle, chaque histoire connaît des épisodes de porosité : fatigue accumulée, isolement progressif, désir d’être enfin reconnu dans sa singularité. Ces fenêtres de vulnérabilité coïncident souvent avec des périodes de transition. La perte d’un parent, la naissance d’un enfant, la fin d’un emploi, l’entrée dans un nouveau milieu professionnel ou social : autant de passages où les repères se réorganisent, où la soif de soutien grandit, où la vigilance s’abaisse.

Cette confiance passagère constitue l’instant charnière : si, à ce moment-là, une limite est posée, la dynamique toxique s’arrête. Si la porte reste entrouverte, le doute s’installe, la confusion s’étend, la dépendance s’organise.

Attraction ou conjoncture : le hasard organisé

Parler d’attirance comme d’une loi immuable entretient l’illusion d’un processus extérieur à soi. La réalité est plus complexe : un entrelacs de variables personnelles (traits de personnalité, croyances, blessures) et de facteurs contextuels. Le pervers narcissique s’introduit dans l’interstice précis où la demande inconsciente rencontre son « offre stratégique » : reconnaissance, intensité, promesse de réparation.

On peut expliquer ainsi pourquoi une personne, après plusieurs relations toxiques, peut connaître de longues années sans retomber dans l’emprise : la porte se referme, les ressources se renforcent, le seuil de tolérance au doute diminue. À l’inverse, celle qui n’a jamais croisé de manipulateur peut, à la faveur d’un moment de vie plus difficile, devenir alors une victime. Rien n’est figé, tout dépend de l’état du seuil de tolérance de ce moment.

Se demander « Est-ce que je les attire ? » revient à reconnaître la part active et modifiable de son propre psychisme. Réaliser que l’attirance n’est pas un sortilège, mais le produit d’une équation où entrent en jeu :

  • La fidélité à des valeurs (loyauté, empathie, idéal d’amour total) ;
  • La mémoire des manques (besoin d’être “choisi”, de prouver sa valeur) ;
  • La fluctuation des appuis (amis, famille, cadre social, estime de soi) ;
  • L’influence des circonstances (deuils, ruptures, transitions).

Reconnaître ces variables implique d’habiter à nouveau le seuil : savoir quand il s’ouvre, discerner quand il se fragilise, décider quand il se referme. Ce travail relève d’un accord renouvelé avec soi-même : droit à la limite, légitimité du doute, acceptation de la complexité sans sacrifice de la clarté.

Au fond, il existe bel et bien un profil de vulnérabilité, plus exactement un faisceau de dispositions, qui, allié à certaines conjonctures, rend l’emprise possible. Reconnaître ce profil c’est ouvrir la voie à une compréhension plus fine de ses dynamiques internes. La peur d’attirer cède alors la place au désir de comprendre : un passage nécessaire pour dénouer la honte, récupérer le fil de son histoire et reprendre, pas à pas, la maîtrise du point où tout commence ou pas.

La parentification de l’enfant dans un couple impliquant un pervers narcissique est un phénomène fréquent. Cependant, si le vampire émotionnel porte la majorité des torts dans le dysfonctionnement familial, ce sont bien les deux parents qui peuvent s’avérer toxiques pour leurs enfants ou leurs beaux-enfants en les parentifiant, même sans penser à mal. Focus sur les dangers de charger sa progéniture de responsabilités avant qu’elle en ait la maturité.

Qu’est-ce que la parentification ?

La parentification consiste à décharger ses responsabilités courantes d’adulte sur une autre personne qui n’était pas destinée à endosser ce rôle. La situation est plutôt banale entre individus majeurs et, dans le cas d’un couple incluant un pervers narcissique, elle constitue même l’une des manifestations de l’emprise psychologique sur la proie (par exemple par la prise en charge des besoins émotionnels, financiers ou physiques du manipulateur). Toutefois, dans cet article, nous nous attacherons à traiter la version la plus problématique de la parentification : celle qui implique des mineurs affublés d’attributions d’adultes de la famille.

L’enfant parentifié par un PN

Les pervers narcissiques parentifient souvent les enfants du foyer en les forçant à prendre soin d’eux et ce, qu’ils en soient le père ou le beau-père. Dans tout leur égocentrisme, il leur semble tout à fait normal que d’autres s’affairent à répondre à leurs besoins, même les plus répréhensibles comme dans le cas de l’incestuel. Rappelons que pour un MPN, les individus, aussi vulnérables soient-ils, sont des objets, des instruments dont il peut faire l’usage qui lui sied. La vision grandiose et exagérée qu’il a de lui-même va de pair avec son manque d’empathie occultant l’absurdité de sa logique.

Une situation à double emploi

Le fait que les serviteurs du PN soient de petits êtres en développement (et possiblement marqués à jamais) l’indiffère. Au contraire ! Cela rend la manipulation encore plus facile et permet de poser des bases stratégiques intéressantes pour assurer ses arrières. En effet, rappelons que la proie principale du PN est sa compagne et que tous les moyens sont bons pour la tourmenter sans relâche, même après une éventuelle rupture. Les enfants constituent de fait une excellente forme de pression psychologique, particulièrement lorsque l’on en arrive au cas de l’aliénation parentale.

Le prédateur sentimental fait ainsi d’une pierre, deux coups : d’une part, il dispose de plusieurs petites mains œuvrant quotidiennement pour son seul plaisir, et d’autre part, il renforce sur le long terme le rapport de domination exercé sur sa partenaire de vie. Comme à son habitude, la satisfaction immédiate de ses besoins personnels lui offre en plus la jouissance sadique de détruire ceux qui l’entourent.

Comment un pervers narcissique parentifie-t-il un enfant ?

Entre l’immaturité du PN (c’est-à-dire une dépendance à l’autre et l’incapacité à assumer ses propres responsabilités), son besoin de contrôle et la réelle volonté de nuire, la parentification des enfants lui est très utile. Elle se manifeste le plus souvent sous les formes suivantes.

L’aide ménagère gratuite

Les enfants vivant sous l’autorité d’un pervers narcissique se voient chargés de tâches ménagères telles que la préparation des repas, le nettoyage et rangement de la vaisselle et du linge, l’entretien de la maison, etc. Suivant la charge hebdomadaire et la fatigue que cela représente, leur réussite scolaire peut en être compromise.

Les soins à domicile

Toilette, soins médicaux ou écoute psychologique font partie des limites que le PN n’hésite pas à franchir pour mettre un enfant à son service. Non seulement le jeune être immature en est réduit à l’état de sous-fifre, mais en plus, il est privé d’un modèle parental sécurisant. Parmi les grands classiques, on retrouve les confidences inappropriées pour l’âge et le partage de secrets compromettants et lourds à porter. Les dommages sur la psyché peuvent être considérables et poursuivre le jeune toute sa vie.

Le baby-sitting désigné d’office

Lorsqu’il y a une fratrie et que le père PN n’assume pas son rôle, c’est le plus souvent l’aîné qui s’occupe des cadets. Il peut être chargé de les nourrir, les baigner, les aider pour les devoirs, les coucher et les garder en l’absence des parents. Outre le risque d’accident domestique que cela comporte, on observe qu’à l’âge adulte, ces enfants parentifiés ayant été responsables de leurs frères et sœurs n’expriment communément pas de désir d’enfanter à leur tour.

La responsabilité décisionnelle

Un degré de parentification très élevé concerne également la pression décisionnelle. Il peut s’agir de confier la gestion des finances à un mineur n’ayant pas encore atteint le niveau d’expérience ou de développement requis. On peut aussi inclure la prise de décisions de haute importance comme le choix de la résidence chez le père ou la mère en cas de séparation (avec toute la manipulation sentimentale sous-jacente que cela implique). Conférer un tel pouvoir à quelqu’un qui n’est pas prêt à l’assumer génère chez lui angoisse, anxiété et culpabilité.

Le divertissement

Lorsqu’un enfant parentifié est suffisamment docile, le MPN a loisir de l’utiliser pour se divertir. Il pourra aller jusqu’à lui faire consommer des substances dangereuses ou le placer dans des situations à risque, voire prohibées pour les mineurs.

 

Une victime de PN peut-elle parentifier ses enfants 

Il ne suffit pas d’être machiavélique pour parentifier un enfant. On peut aussi le faire de manière involontaire, surtout lors d’un épisode de détresse. C’est ce qu’il se passe lorsque les victimes de pervers narcissique cèdent aussi à la tentation de se décharger de leur responsabilité parentale sur un enfant.

Pourquoi une mère en souffrance se repose-t-elle sur son enfant ?

Les compagnes de manipulateurs machiavéliques sont le plus souvent vidées nerveusement par des années de violence morale, même une fois séparées. Il n’est pas rare d’observer chez elles des signes de stress post-narcissique, ou de souffrance physique ou psychologique, voire des conduites d’addiction. Si une mère malmenée par un MPN est particulièrement mal en point, elle pourra se reposer sur sa progéniture soit parce que son état de vulnérabilité pousse ses petits à intervenir, soit parce qu’elle leur exprime son incapacité à assumer son devoir maternel.

Comment s’installe la parentification involontaire ?

Lorsqu’une victime de pervers narcissique se trouve en situation de détresse psychologique, l’inversement du rôle parental entre elle et son enfant peut s’instaurer suite à une demande implicite ou explicite. Il s’opèrera selon différents modèles.

L’incapacité parentale

Laisser les rênes de la famille à son enfant sous-tend une démission du rôle parental. La victime de MPN est contrainte, par son état, de s’en remettre à la motivation de sa progéniture à soulager son quotidien difficile. Cela peut induire pour celui-ci de prendre soin des autres membres du foyer ou de gérer les finances et l’intendance de la maison, quitte à se voir lesté d’un pouvoir de décision trop important.

Le plus souvent, la mère défaillante souffre de cette situation qu’elle imagine temporaire… Jusqu’à ce qu’elle s’en accommode ! Malheureusement, la vérité est que, même si la phase de confusion des rôles est courte, elle inflige sans le vouloir des dégâts psychiques durables chez les jeunes, tout en augmentant le risque d’échec scolaire.

L’accaparement affectif

N’oublions pas que ce qui caractérise la majorité des proies de MPN, c’est la dépendance affective. Les enfants étant une source inégalable de tendresse, la victime d’abus émotionnels a la fâcheuse tendance à chercher à reporter son manque d’amour sur ses petits. Dans une démarche de rapprochement sentimental, elle pourra alors se laisser aller à s’épancher sur ses problèmes d’adultes.

Les enfants parentifiés font souvent beaucoup plus matures que leurs semblables du même âge, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut en oublier leur immaturité physiologique et psychique. Ils ne sont pas prêts à tout entendre et les prendre pour des confidents peut entraver la recherche d’un soutien adapté auprès de personnes matures ou de professionnels.

Le besoin de protection

Les mères démunies face aux assauts de leur bourreau peuvent, elles aussi, instrumentaliser leurs enfants, non pas en tant qu’arme, mais en tant que bouclier. L’enfant devient alors un garant, un témoin, un élément de réassurance pour sa mère. Le problème est que cela le plonge au cœur des conflits. Cette représentation du couple entachera à coup sûr sa vie affective future.

La parentification de l’enfant est un fléau qui, pour une fois, met le pervers narcissique et sa proie sur un pied d’égalité dans la toxicité parentale. La vraie différence est qu’une victime de manipulation sentimentale pourra commettre cette erreur inconsciemment. C’est pourquoi l’objet de cet article est de mettre en évidence ce phénomène auquel il est facile de succomber, malgré les meilleures intentions du monde. L’accompagnement thérapeutique des parents démissionnaires, des enfants parentifiés et même des benjamins abandonnés aux soins des aînés est indispensable pour enrayer les dégâts que cette situation malsaine de vol d’innocence et d’insouciance peut causer.