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Le pervers narcissique et le silence : l’arme invisible de l’emprise

22 Sep,2025

Rédaction : Pascal Couderc, psychologue, psychanalyste et auteur, président du comité scientifique de pervers-narcissique.com

Le silence n’est jamais neutre. Entre les mains du pervers narcissique, il devient une arme. Une arme subtile, invisible, parfois plus violente qu’un mot ou qu’un geste. Là où la parole peut se discuter, se contredire, le silence impose son règne d’ombre et d’attente. Il fige. Il paralyse. Il sature l’espace psychique de la victime, qui n’entend plus que ce vide calculé et se perd en conjectures pour tenter de le combler.

Ce silence-là n’est pas un retrait pour apaiser, réfléchir ou prendre du recul. C’est un instrument de domination. Il vise à punir, à brouiller, à désorienter. Il fait naître l’angoisse et la culpabilité. Et, dans le théâtre de l’emprise, il installe un rapport asymétrique : l’un décide, l’autre attend.

Le silence pervers narcissique n’est pas absence de mots : c’est un discours muet. Un discours de toute-puissance, où l’autre est réduit à n’être rien. L’arme invisible d’un pouvoir qui ne dit pas son nom.

Pourquoi le silence est une arme chez le pervers narcissique

Chez le pervers narcissique, le silence n’est pas un accident. Il est voulu, pensé, utilisé. C’est une stratégie de guerre psychique. Là où l’autre espère un mot, une explication, une reconnaissance, il ne reçoit qu’un mur. Ce mutisme, loin d’être passif, agit comme une lame : il coupe, il tranche, il prive la victime de tout appui symbolique.

Le silence devient alors un outil de contrôle. Il impose son rythme : celui qui se tait fixe la mesure, celui qui attend se perd dans l’incertitude. La victime, suspendue à ce vide, se met à tourner en rond dans ses propres pensées. Elle s’interroge : Ai-je fait une erreur ? Suis-je coupable ? Dois-je réparer ? C’est précisément ce brouillage qui alimente l’emprise.

Il est aussi une punition. Le silence surgit souvent après un conflit, une contestation, une tentative de poser une limite. Là où un dialogue pourrait apaiser, le pervers narcissique choisit de retirer la parole, comme on retire l’air. La victime suffoque dans ce désert de mots. Elle croit que la faute vient d’elle, et cherche alors à se racheter, renforçant ainsi le pouvoir du bourreau.

Enfin, le silence agit comme une négation radicale. Il ne se contente pas de suspendre la conversation : il efface l’existence même de l’autre. Ne rien dire, c’est dire : Tu n’existes pas. Tu n’as aucune valeur. Dans cette absence organisée, le pervers narcissique installe son empire. Le silence devient une démonstration de toute-puissance.

Le silence radio après une rupture

Lorsqu’il quitte, le pervers narcissique ne disparaît pas vraiment. Il orchestre sa disparition. Le silence radio n’est pas un retrait douloureux, c’est une mise en scène. Il coupe tout contact, mais son ombre reste partout. Dans l’esprit de la victime, dans son corps qui attend un signe, dans le vide qu’il a volontairement laissé.

Ce silence brutal a une fonction précise : créer le manque. La victime, habituée aux montagnes russes émotionnelles de la relation, se retrouve soudain confrontée à l’absence totale. Pas de message, pas d’appel, pas de mot. Le vide devient insupportable, et l’obsession s’installe. Chaque bruit de téléphone, chaque notification réactive l’angoisse et l’attente.

Mais ce silence n’est pas seulement une stratégie de retrait : il est un moyen de reprendre l’avantage. Le pervers narcissique sait que la victime cherchera à comprendre, à expliquer, à recoller les morceaux. Ce silence la pousse à se justifier, à implorer, à tendre la main. Elle croit qu’il s’agit d’un abandon, alors qu’il s’agit d’un piège.

Car derrière ce mutisme se joue une réalité plus sombre : le silence radio n’est pas une absence, c’est une présence imposée. Il occupe toute la psyché de la victime, qui ne pense plus qu’à ça. C’est une manière de rester maître, même à distance. Une emprise qui ne dit pas son nom, mais qui enserre plus sûrement que des mots.

Les effets psychiques du silence sur la victime

Le silence du pervers narcissique agit comme un acide. Invisible, mais corrosif. Il s’infiltre dans la psyché de la victime et ronge peu à peu sa capacité de penser librement. Car le silence n’est pas seulement absence de mots : il est invitation à combler un vide. La victime s’épuise alors à interpréter, deviner, inventer des raisons à ce mutisme calculé.

Très vite, l’angoisse surgit. Ce silence pèse comme une menace : qu’ai-je fait ? pourquoi ne répond-il pas ? ai-je mal agi ? L’autre devient juge invisible, et la victime, prisonnière de ce tribunal intérieur, s’auto-accuse. Ce mécanisme est au cœur de l’emprise : le bourreau n’a pas besoin de parler pour dominer, la victime fabrique elle-même sa culpabilité.

Le silence produit aussi une forme d’addiction. Plus l’attente dure, plus la dépendance se creuse. Quand enfin un mot tombe, une réponse, un signe de vie, il agit comme une récompense. Le cerveau, affamé d’attention, s’accroche à cette bribe comme à une preuve d’amour. C’est le cycle pervers : frustration → silence → soulagement → nouvelle dépendance.

Enfin, le silence enferme la victime dans une solitude radicale. Elle ne peut pas partager ce qu’elle vit : comment expliquer un silence ? Elle doute d’elle-même, doute de sa propre perception, doute même de sa valeur. Le silence devient un miroir déformant où l’image d’elle-même se délite. Et c’est là le but : priver la victime de tout repère, jusqu’à ce qu’elle n’existe plus que dans le regard absent du pervers.

Le silence et la toute-puissance narcissique

Le silence, pour le pervers narcissique, n’est pas un repli mais une démonstration. Il n’a pas besoin de parler pour affirmer son pouvoir. Se taire devient son langage. Par ce mutisme, il installe sa toute-puissance : il décide quand la relation existe et quand elle s’interrompt.

Ce silence est un acte de souveraineté. Celui qui se tait impose la loi du vide. Il occupe l’espace psychique sans effort apparent. Là où la parole supposerait un échange, donc une reconnaissance de l’autre comme sujet, le silence supprime toute altérité. Il dit : je suis seul maître, toi tu n’es rien.

La victime vit ce silence comme une négation radicale. Non seulement elle n’est pas entendue, mais elle est effacée. Il ne s’agit plus d’un dialogue interrompu, mais d’une existence niée. Le pervers narcissique, par ce vide, ne cherche pas la paix : il cherche à abolir l’autre.

Ce mutisme est aussi une façon de projeter son propre gouffre intérieur. Là où il ne peut supporter la fragilité de son narcissisme, il impose un silence qui fige et glace. C’est l’expression même de son vide, renvoyé à l’autre comme une condamnation. Le silence devient le masque de son abîme.

Silence ou retrait : différence avec le repli sain

Il existe un silence qui apaise, qui protège, qui permet de retrouver une clarté intérieure. Chacun peut, dans un moment de tension, choisir de se taire pour éviter l’escalade, pour digérer une émotion trop vive, pour ne pas blesser. Ce silence-là est un retrait, il est porteur d’une intention pacifiante. Il garde l’autre présent, même dans le non-dit.

Le silence du pervers narcissique n’a rien de commun avec ce repli-là. Il n’est pas un temps pour soi, mais une arme tournée contre l’autre. Là où le retrait sain ménage, le silence pervers mutile. Là où l’un se tait pour se calmer, l’autre se tait pour punir.

Il est crucial de distinguer ces deux dynamiques. Car de nombreuses victimes confondent le mutisme pervers avec un simple besoin d’espace. Elles se persuadent que l’autre a « besoin de temps », qu’il « réfléchit », qu’il « panse ses blessures ». Mais il n’en est rien. Le silence pervers n’ouvre pas à une réconciliation possible : il enferme. Il ne prépare pas la rencontre : il l’interdit.

Comprendre cette différence est un pas essentiel pour sortir de l’emprise. Le silence n’a pas toujours la même valeur. Quand il est arme, il détruit. Quand il est retrait, il préserve. Chez le pervers narcissique, il n’est jamais préservation : il est calcul, domination et négation.

Comment réagir face au silence pervers narcissique

La première erreur est de chercher à briser ce silence par tous les moyens. Appels répétés, messages, explications interminables : la victime croit ainsi rétablir le lien. En réalité, elle renforce la mécanique d’emprise. Car chaque tentative de dialogue prouve au pervers narcissique qu’il garde le pouvoir, qu’il suffit de se taire pour que l’autre s’agite.

Réagir, c’est d’abord cesser de croire que ce silence a un sens caché. Il ne signifie ni introspection, ni douleur, ni réflexion. Il est une arme, et comme toute arme, il n’a d’autre but que de blesser et de dominer.

La posture la plus saine est de ne pas entrer dans le piège. Ne pas supplier. Ne pas combler le vide qu’il impose. Résister à l’envie de donner une explication à son mutisme. C’est une discipline difficile, car l’attente génère angoisse et culpabilité. Mais c’est aussi une étape cruciale pour reprendre le contrôle de son espace psychique.

Réagir, c’est aussi revenir à soi. S’occuper de ses propres besoins, retrouver des appuis extérieurs, parler à un ami ou à un thérapeute. Sortir du cercle où toute l’énergie est consacrée à décoder l’autre. Laisser le silence au bourreau, et choisir la parole ailleurs.

Face au silence pervers narcissique, la seule victoire possible est de ne plus le craindre. Car alors, il perd son pouvoir. Ce mutisme, privé de victime qui l’interprète, redevient ce qu’il est : un vide. Rien de plus.

Silence et psychanalyse : ce que cela révèle du pervers narcissique

Le silence du pervers narcissique n’est pas seulement une tactique relationnelle : il dit quelque chose de sa structure profonde. Il est le miroir de son vide intérieur. Là où d’autres utilisent la parole pour entrer en lien, lui impose l’absence comme révélateur de ce qu’il est : un être clos, incapable de rencontre véritable.

Dans une perspective psychanalytique, le silence pervers manifeste l’impossibilité de reconnaître l’altérité. Parler, c’est reconnaître que l’autre existe, que l’autre a un mot à entendre, une place dans le dialogue. Se taire, ici, c’est abolir cette place. C’est réduire l’autre à l’état d’objet, de marionnette suspendue à un fil invisible.

Ce silence révèle aussi le déni de sa propre faille. Là où il est traversé par un gouffre narcissique qu’il ne peut affronter, il le projette hors de lui. Le mutisme devient alors un instrument de transfert : je n’ai pas de vide, c’est toi qui souffres de l’absence. La victime se retrouve ainsi à porter le poids de ce néant qu’il ne peut reconnaître en lui-même.

Le silence, enfin, est une manière d’éviter la confrontation avec sa propre vérité. Le pervers narcissique ne peut tolérer un discours qui le mettrait en cause. Il choisit donc le mutisme, qui n’ouvre pas à la contradiction. Ce silence-là n’est pas paisible, il est hostile. Il ne vise pas à se protéger, mais à écraser.

Conclusion

Le silence du pervers narcissique n’est pas un oubli, ni un moment de réflexion. C’est une arme. Une arme invisible, mais redoutable, qui agit dans l’ombre et détruit sans bruit. Il fige, il désoriente, il fait douter. Il occupe toute la scène psychique et réduit l’autre à n’être plus qu’un écho suspendu dans le vide.

Comprendre cette mécanique, c’est rompre l’illusion. C’est voir que ce silence n’est pas le signe d’une douleur, ni d’un manque, mais le masque d’un pouvoir. C’est se libérer de l’attente qui ronge, de la culpabilité qui enferme, de la dépendance qui consume.

Sortir de l’emprise, c’est accepter que ce silence ne dit rien d’autre que le gouffre intérieur du bourreau. Et choisir de redonner sa voix à soi-même.