J’ai fait cette rencontre malheureuse lorsque j’avais 19 ans. Aujourd’hui, j’en ai 21, et je prends progressivement conscience de ce qui s’est joué pendant ces deux années.
Il s’agissait d’une amitié virtuelle.
Un jour, un inconnu m’a envoyé un message privé sur facebook, dans lequel il se présentait. Je venais de rejoindre un groupe facebook ayant pour thème mon groupe préféré, j’ai donc supposé qu’il avait vu le message que j’y avais posté, et que c’était pour cette raison qu’il me contactait.
Nous avons commencé à échanger. Nous avions beaucoup de point communs, du moins je le croyais. Il semblait partager mes points de vue sur de nombreux sujets, mon goût pour la musique, et partager les mêmes valeurs que moi. L’une des choses les plus marquante est qu’il ne voulait pas avoir d’enfants, pour les mêmes raisons que moi : ne pas donner la vie alors que le fonctionnement des sociétés est injuste et ne permet pas au plus grand nombre de vivre dignement. Cependant, il y en avait beaucoup d’autres.
Ses mensonges
L’un de ses mensonges supposés que je trouve le plus réussi au regard de ses objectifs est qu’il a assumé être maniaco-dépressif lorsque je lui ai dit que j’étudiais la psychologie. Confession qu’il m’a faite alors que nous nous connaissions à peine, et que j’ai interprété comme une marque de confiance de sa part. Cela m’a donc mis en confiance. Je me suis dit que je pouvais espérer un échange sincère avec lui, et qu’il avait été courageux de m’en faire part.
Il disait aller toujours mal
Il disait se sentir déprimé et souffrir également dans son corps à cause du stress. Il disait souvent qu’il avait passé une journée horrible au travail, mais ne voulait pas entrer dans les détails lorsque je posais des questions pour essayer de comprendre. Il changeait immédiatement de sujet, et prétendait vouloir «passer du temps avec moi» pour « se changer les idées».
Et ainsi, il préparait insidieusement un terrain propice à une sorte de soumission, m’incitant à accepter ses demandes, ses idées, pour lui faire plaisir. Pour que j’ai envie de le consoler, d’incarner une figure réparatrice. Posture qui probablement me valorisait.
Très vite, il a déclaré être amoureux de moi
Il disait que les “gens comme lui”, qui sont plutôt marginaux car différents des autres, tombent facilement amoureux lorsque quelqu’un manifeste de l’attention et du respect à leur égard. Étant en couple, je lui ai dit que je ne partageais pas ses sentiments, mais que je pouvais lui offrir mon amitié.
Cependant, il s’est toujours comporté de façon séductrice. Il affirmait souvent qu’un lien unique nous unissait, quelque-chose de grand et d’inexplicable. Je le laissais faire, parfois j’allais aussi dans son sens, car je pensais que nous étions effectivement très similaires et je me sentais proche de lui.
Je pensais que c’était anodin, comme des déclaration d’amitié. Je préférai en tout cas le voir comme tel. Le jour où il a utilisé les termes “âmes sœurs”, j’ai évidemment rejeté cette idée. Il est alors rentré dans une colère incroyable, qui m’a laissé sans voix.
Il a commencé à se montrer exigeant.
Je le trouvais parfois un peu immature, bien qu’il ait 14 ans de plus que moi. Il ne supportait pas que je ne réponde pas rapidement à ses messages, et me le reprochait. Un malaise s’est installé. Je me sentais obligée d’être disponible pour lui, obligée de faire des efforts, pour lui faire plaisir.
Comme si c’était mon devoir.
Il me demandait des photos de moi, mais voulait que ce soit des photos que je prenne exclusivement pour lui. Rien d’obscène, heureusement. Il voulait cependant voir à quoi je ressemblait “en entier”, et notamment mes pieds, qu’il appréciait beaucoup semble-t-il. Il disait que les pieds et les jambes étaient les parties du corps féminin qu’il préférait, me complimentait beaucoup, disait que je le faisais sourire grâce à ces photos, malgré sa dépression.
Un jour, il a prétendu avoir malencontreusement effacé le dossier dans lequel il stockait les photos de moi que je lui avais envoyé. J’ai alors commencé à les lui renvoyer, mais il n’était pas satisfait. Il m’a dit “ouais, je les ai déjà vu celles là…”. C’était probablement un mensonge pour que je lui envoie de nouvelles photos.
Il me flattait beaucoup.
Il disait qu’il m’aimait parce-que j’étais une belle personne à l’intérieur et à l’extérieur, et que je devrais participer au concours de miss France. Je n’ai jamais été sensible à ce type de flatterie, je le laissais dire sans me laisser amadouer. Je n’accorde pas beaucoup d’importance aux compliments sur mon physique, notamment lorsqu’ils sont aussi exagérés.
J’imagine que l’amour que je porte à mon compagnon m’a aussi protégé de ses tentatives de séduction. Mon tort a été de ne pas le stopper, de le laisser parler, de ne pas lui poser de limite. Je n’osais pas, j’avais peur de le contrarier et d’entrer en conflit avec lui. Peut d’être moi-même, en quelques sortes.
Il a commencé à me reprocher de ne pas en faire assez pour lui.
Il me disait “tu sais que certaines choses me feraient plaisir, m’aideraient à aller mieux, mais tu ne les fait pas pour autant”. Je lui donnais beaucoup de mon temps et de mon énergie, mais ce n’était pas suffisant.
Il me reprochait ma joie de vivre.
Il tentait de me faire sentir coupable d’être heureuse. Il passait son temps à dire que sa vie n’était que tristesse, à cause de sa maladie, et que je ne pourrais jamais le comprendre parce-que j’avais une “jolie petite vie” contrairement à lui.
Il aimait aussi dire que l’université et les diplômes qu’elle délivre sont inutiles, que les gens qui étudient veulent juste éviter d’accomplir un “vrai travail”, à savoir un travail pénible physiquement, comme le sien. Ses propos étaient volontairement blessant, réduisant au statut de “connerie inutile” une grande partie de ma vie : mes études.
Lors de notre rencontre, je vivais des moments difficiles. Je suis en couple avec un homme plus âgé que moi, qui a décidé de laisser femme et enfants pour vivre avec moi. Suite à cela, j’ai alors été victime de harcèlement moral. Je recevais des insultes et des tentatives d’intimidation par sms et par courrier. J’ai eu des pensées suicidaires récurrentes à cause de cela.
J’étais fragilisée.
Et j’ai malheureusement fait part de ces faiblesses à mon “meilleur ami” virtuel, et il s’en est servi pour mieux me contrôler. Il savait que j’avais besoin de rehausser mon estime de soi et que je manquais de soutien pour faire face aux épreuves que je traversais.
Il en a conclu que j’étais malheureuse en couple, et a commencé à dénigrer mon compagnon. Il affirmait qu’il me trompait, puisqu’il avait trompé sa femme avec moi (techniquement, c’est faux). Il répétait, lors de ses crises de rage, que je méritais mieux, que j’étais naïve, que c’était évident que mon compagnon me trompait et me considérait seulement comme un trophée, une jolie petite chose agréable à baiser. Ses mots très crus me blessaient beaucoup, même si je savais qu’il avait tort.
Il m’accusait d’être aveugle
Et naïve car je préférai rester avec quelqu’un d’infidèle (selon lui) plutôt que de l’aimer lui, un homme sincère, tendre, attentionné, et qui travaille dur dans la vie. Ainsi, c’était de ma faute s’il se mettait dans des états pareils : j’étais coupable de ne pas être amoureuse de lui, de lui briser le cœur, de le rejeter sans cesse. Je me souviendrai toujours de cette phrase qui revenait à chaque “crise” : “I hope you feel good about how bad you hurt me”.
C’est en mai dernier, suite à une nouvelle crise de colère de ce type, que j’ai commencé à comprendre que rien ne changerait, et que je n’en pouvais plus de supporter ce discours violant me dévalorisant et dévalorisant injustement l’homme que j’aime. J’ai aussi compris que cette phrase, “I hope you feel good about how bad you hurt me”, était une stratégie pour se placer en victime et me culpabiliser dans le même temps.
J’ai coupé le contact quelques jours.
je l’ai réétabli, et je l’ai coupé une dernière fois lorsqu’il a commencé à parler d’une maladie de la gorge inconnue dont il souffrirait. Une stratégie pour que je m’inquiète pour lui et que je lui “pardonne”, que je revienne vers lui, pleine de compassion et de sollicitude. Voyant que je ne réagissais pas comme il l’espérait et que je restai distante, il a recommencé son chantage affectif en disant que je pourrais envoyer des fleurs pour son enterrement. C’est suite à ce message que je l’ai bloqué.
Il m’a alors fait passer un message par une de ses amies, auquel je n’ai pas répondu. Quelques jours auparavant, il avait également envoyé un message privé à l’une de mes amies.
Suite à ces deux tentatives infructueuses, il s’est créé un faux compte facebook afin de me recontacter directement. Il m’a laissé une centaine de messages. J’en ai parcouru quelques uns, et ce qui m’a frappé est l’ambivalence de son discours. Certains messages semblaient plutôt “apaisés”: il disait ne pas m’en vouloir, mais chercher à comprendre. Dans les derniers, il me traitait de salope pour qui rien ne compte à part se faire sauter tous les jours, m’accusait de lui avoir menti en l’appelant “meilleur ami” et de lui avoir “arraché le cœur”.
J’ai désactivé mon compte facebook.
Il a également contacté l’une de mes sœurs et une autre de mes amies, en utilisant sa stratégie de victimisation. Il disait être gravement malade, tenter de me joindre depuis des semaines pour avoir des explications, et que j’étais la meilleure amie qu’il ait jamais eu, que je comptais beaucoup pour lui. Face à ma sœur, il montrait un tout autre visage, et ne prenait pas le risque de m’insulter comme il l’avait fait en privé.
Il m’a envoyé plusieurs courriers au domicile de mes parent. Je les ai détruit et n’y ai jamais répondu. J’en ai parcouru certains. J’y ai évidemment retrouvé ses techniques de manipulation habituelles «je suis désolée de t’avoir blessé, je voulais pas dire ça…».
Il tente probablement de me déstabiliser et surtout, de ne pas perdre l’emprise qu’il avait sur moi.
Malgré tout, j’essaie de ne pas me laisser abattre par l’angoisse que cette situation génère et de réfléchir. Je me documente sur la notion de pervers narcissique, je réfléchis sur moi-même et sur le pourquoi de cette relation. L’important, après avoir fait ce type d’expérience, et de comprendre pourquoi nous nous somme laissé embarquer dans ce jeux malveillant.
J’ai la chance de vivre géographiquement loin de lui.
Il vit aux États Unis. Cependant, je vis encore actuellement dans la crainte de le voir débarquer chez mes parents pour faire pression sur moi.
J’ai la chance d’avoir un compagnon très compréhensif qui m’aide à traverser cette épreuve. J’ai conscience qu’il faudra s’armer de patience et de force morale, car il pourrait essayer de me contacter voire de me détruire pendant un long moment.