Épisode 10 : L’addiction à l’autre

La dépendance affective est une forme daddiction. Or les personnalités « addictives » sont bien souvent aux prises avec la problématique de la séparation impossible. La difficulté de quitter est contournée et remplacée par une relation de dépendance : toute confrontation au manque est ainsi évitée. Le registre est celui du « manque de manque » que la relation mère-enfant a préalablement déterminé

Aux sources de la dépendance affective

On retrouve, en effet, dans l’histoire de ces personnes, la trace d’une difficulté commune à établir affectivement une « juste distance ». Entre la mère et le nourrisson, au cours de la petite enfance, elle s’instaure du fait de trop peu de présence, de trop peu de maternage, ou au contraire, à cause d’une surprotection. La dépendance affective naîtra de ce déséquilibre.

La mère qui anticipe les besoins, qui écrase la demande de l’enfant, ne laisse aucune place à la frustration, à la perception du manque. Qu’il s’agisse de l’un ou l’autre des cas, la sécurité du lien est compromise, car l’insécurité et la peur de l’abandon prédominent et il ne peut y avoir d’individualisation assumée. Or, se construire une autonomie (non pas une abolition de toute dépendance, mais une diversification et une plus grande distance vis-à-vis de ce dont on dépend), c’est se construire comme un sujet ayant une identité propre doué d’un bon équilibre affectif. C’est accepter de renoncer aux protections du jardin d’Éden de l’enfance. Peu autonomes, avec une identité mal établie, ces sujets dépendants tomberont facilement dans la dépendance affective et les relations d’emprise.

La passion et les relations d’emprise

La passion et la relation d’emprise sont souvent à l’œuvre dans les différentes manipulations. La « victime » se laisse entraîner par un élan passionnel, alors que ceux, qui comme les pervers manipulent, instaurent une emprise.

De Descartes à Hegel, en passant par Kant, les philosophes se sont penchés sur la question de la passion, qui peut aussi, bien sûr, voir le jour sans que l’autre n’exerce quelque emprise que ce soit. Ce dernier est alors bien embarrassé d’une telle offrande, qu’il n’avait nullement demandée. En revanche, lorsque l’élan passionnel se porte vers une personne manipulatrice, la dépendance affective s’installe à la faveur d’un mode de relation plus ou moins corrompu.
Le sujet passionnel accepte le dessaisissement de son libre arbitre au profit de l’objet de sa passion. « Je ne mets plus mon honneur et ma religion qu’à vous aimer éperdument toute ma vie, puisque j’ai commencé à vous aimer», dit la Religieuse portugaise. On le voit, la passion se substitue à l’objet aimé, la relation est plus importante que l’autre ! Le stade de plénitude présent dans toute relation amoureuse et qui, d’ordinaire, ne perdure pas, se prolonge ici faute de confrontation au réel de ce qu’est l’autre. C’est là que s’ouvre la brèche de la dépendance affective.

L’illusion peut se maintenir puisque la passion se nourrit d’elle-même et non de l’objet réel. Le risque de déception s’amenuise au fur et à mesure de l’idéalisation que l’on se fait de l’autre. Petit à petit, l’autre ne peut plus remplir que le rôle d’un être imaginaire. Quand la réalité ne fournit plus assez d’éléments, la passion peut édifier un modèle artificiel ; même si la réalité lui donne tort, il croit en son modèle imaginé.

Freud parlait ainsi des artistes, capables de créer des « réalités effectives » qui « valent aux yeux des hommes comme de précieux reflets de la réalité ».

De même, c’est parce que le sujet exige de l’autre de donner un sens à sa vie que l’on peut considérer la passion comme un processus de défense contre l’angoisse : « La passion tend à s’aliéner dans un objet qu’elle érige en rempart de son angoisse, pour mieux affirmer sa tragique dépendance affective.» Tout le pouvoir est donné à l’autre qui peut satisfaire le besoin, comme faire souffrir… Dans cette configuration, la place de l’autre (le manipulateur) préexiste à la rencontre : c’est ce que nous appelons par ailleurs la prédisposition au statut de victime. La rencontre révèle après coup cette place, elle révèle qu’il y avait à cet endroit-là une attente, un manque affectif à combler.

La sexualité

La sexualité est l’un des aspects du couple où la manipulation et le schéma de  dépendance s’élaborent. Ce qui s’y exprime reflète la dynamique de la relation, ses nœuds, ses problèmes. La sexualité est le baromètre du couple et un premier indicateur d’un trouble, comme la dépendance affective. Les mésententes prolongées entravent le désir, surtout chez la femme, qui « relie » habituellement le côté affectif et l’élan sexuel. Une sexualité défaillante peut être le premier indice que quelque chose ne va pas chez les couples qui ne s’entendent plus – et l’expression est ô combien adéquate : entendre, c’est écouter et accueillir.

L’amant idéal

L’homme manipulateur se croit toujours un parfait amant, puissant, « performant ». Il peut être perçu comme tel, surtout au début de la relation. L’amant idéal fait pendant à l’homme idéal dont il veut donner l’image. La femme vit alors avec son partenaire un épanouissement sexuel ignoré jusqu’alors, avant de tomber dans la dépendance affective.
De fait, elle finit par se plaindre de l’égoïsme de son partenaire qui finit par la harceler et la sollicitant sans cesse. Lorsqu’elle tente de refuser parce qu’elle ne se sent ni aimée ni prise en considération, l’homme pervers narcissique lui oppose une fin de non-recevoir et lui force la main. Il l’accuse aussi de frigidité, de maladie, voire de folie, même s’il a lui-même, par ailleurs, des troubles sexuels, problèmes d’érection ou d’éjaculation précoce. Il se défend en accusant invariablement sa partenaire de « ne pas savoir s’y prendre » avec lui, de ne pas être assez imaginative, pas assez jolie, trop grosse, etc.

La femme manipulatrice, quant à elle, imposera l’abstinence « alternée » à son compagnon pour acquérir de la force en exerçant une forme de chantage affectif, consistant à le punir, ou faire semblant. La dépendance affective et sexuelle de son compagnon lui permettra ensuite d’étendre son pouvoir hors du lit, à tous les aspects de la vie quotidienne.

Perversion sexuelle

Il arrive que les manipulateurs imposent leurs penchants sexuels à leur partenaire, jusqu’à exercer une violence physique. La manipulation qui se répercute de cette façon sur le plan sexuel est très souvent l’œuvre de l’homme.
L’acte sexuel devient alors pénible pour la femme qui s’y sent toujours humiliée, traitée en objet de plaisir. Elle devient pour l’homme l’instrument qui lui permet de mettre en scène ses fantasmes, sans tenir compte de ses désirs (ou de ses réticences).

Lorqu’une femme est en dépendance affective, il devient facile alors de la manipuler du point de vue affectif, pour la convaincre qu’elle « aime ça », qu’elle n’est pas assez libérée ou que tout cela est normal !

Sadomasochisme, fétichisme, exhibitionnisme, contrainte, échangisme : telles sont les pratiques qui peuvent s’intégrer à une manipulation d’ordre sexuel, lorsqu’elles ne sont pas choisies par les deux, mais par l’homme seul. Loin d’être rares, elles constituent un problème pour la femme quand elle ne les a pas souhaitées. Le fait d’être alors instrumentalisée a des effets dévastateurs sur son psychisme. Elle tombe alors dans une vraie détresse affective, se sentant coupable, salie.

Lorsque la femme se joue de l’homme

La dépendance affective ne touche pas que les femmes, loin de là.
« Sur 100 victimes de violences conjugales, aujourd’hui, on estime qu’il y a 90 femmes pour 10 hommes. La violence qui s’exerce sur les hommes vulnérables est surtout psychique : les hommes se plaignent d’humiliations, d’être traités comme des paillassons, de harcèlement, etc. Quelques-uns subissent des violences physiques… ».

Il arrive donc que l’homme soit victime de la femme et, si l’on devait prendre également en compte la manipulation moins visible, faite de fourberies, espiègles ou non, sous forme d’affirmations appuyées, les statistiques révéleraient un chiffre supérieur.
Force est de constater que certaines femmes ont cette capacité de manipulation de leur compagnon, bien qu’elles utilisent nettement moins souvent la force du corps (il est d’ailleurs établi, à ce sujet, que lors de violences physiques de leur part, les femmes agissent généralement par le biais d’une « arme », objet contondant ou autre).

La psychothérapie aide à se défaire des relations de dépendance pour ne pas retomber sans cesse dans le manque qui crée l’attachement et favorise l’emprise des manipulateurs pervers.

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