Hélène, ma vie, une lutte incessante

Je m’appelle Hélène, j’ai 48 ans, et toute ma vie, j’ai eu l’impression de marcher sur un chemin semé d’embûches. Chaque jour a été une bataille, chaque moment une épreuve. Depuis mon plus jeune âge, j’ai eu cette sensation oppressante que le bonheur était un luxe auquel je n’aurais jamais droit. Parfois, je me demande si mon existence n’a pas été écrite pour être un éternel calvaire.

En regardant en arrière, je ne vois que des blessures. Je n’ai pas de souvenirs heureux à évoquer, pas de moments de répit où je me serais sentie vraiment libre ou en sécurité. Ce que je vois, c’est une succession d’injustices, de violences et de manipulations. Les visages changent, mais la souffrance, elle, reste la même.

Je n’ai jamais voulu être une victime. Mais dès l’enfance, on m’a enfermée dans ce rôle, et tout ce que j’ai tenté pour m’en libérer a échoué. Parents, conjoint, proches : tous semblaient avoir un pouvoir sur moi, comme s’ils savaient instinctivement exploiter mes faiblesses, mes peurs, ma naïveté. J’étais comme une marionnette entre leurs mains, et quoi que je fasse, je n’arrivais jamais à couper les fils.

Aujourd’hui, je suis fatiguée. Fatiguée de subir, de me battre pour une liberté qui semble toujours hors de portée. En racontant mon histoire, je veux non seulement partager ce que j’ai vécu, mais aussi crier mon désespoir et ma soif de justice. Peut-être que mes mots aideront d’autres à comprendre qu’ils ne sont pas seuls, qu’ils ont le droit de rêver d’une vie meilleure.

Mon histoire n’est pas unique, je le sais. Mais elle est la mienne, et la raconter est une façon de reprendre un peu de ce qui m’a été volé : ma dignité, ma voix, et l’espoir d’un avenir différent.

Une enfance volée

Quand je pense à mon enfance, c’est comme si je regardais à travers une vitre brisée. Tout est flou, fragmenté, mais ce que je ressens encore aujourd’hui, c’est la douleur. Dès mes trois ans, je vivais dans un monde où la violence était omniprésente. Les cris étaient mon quotidien, les regards froids et indifférents étaient tout ce que je recevais de mes parents. À cet âge, j’aurais dû être bercée par la tendresse et protégée des ombres. Mais la seule chose qui me berçait, c’était la peur.

Je me souviens de ces jours où j’essayais de me faire toute petite, presque invisible, pour ne pas provoquer de nouvelles colères. Chaque tentative d’obtenir un sourire, un mot doux, se heurtait à de l’agacement ou du mépris. Pourquoi mes parents semblaient-ils me rejeter ? Je n’avais rien fait pour mériter ça. Mais déjà, je commençais à croire que tout était ma faute. Après tout, si je n’étais pas capable de les rendre heureux, c’est bien que je devais avoir un problème.

Les brimades ne s’arrêtaient jamais. Tout était prétexte à me rabaisser : ma façon de parler, de me tenir, de respirer presque. Je n’étais jamais assez bien pour eux. À chaque déménagement – et il y en a eu beaucoup –, je nourrissais l’espoir que les choses allaient changer. Une nouvelle maison, un nouveau départ… Mais rien ne changeait. La violence restait, comme un poison qui s’infiltrait partout.

À l’école, ce n’était pas mieux. J’étais la fille qui se faisait toute petite, qui baissait les yeux, qui évitait les autres par peur d’être encore blessée. Les moqueries et les humiliations s’ajoutaient à ce que je vivais à la maison. Je n’avais nulle part où me réfugier. Chaque jour, j’avais l’impression de devoir me battre pour simplement exister.

En grandissant, je n’ai pas seulement subi les coups physiques – ceux-là, au moins, ils finissaient par guérir. Ce qui m’a marquée le plus profondément, ce sont les blessures invisibles : les mots durs, les silences glacials, cette sensation constante d’être de trop. On m’a appris à me taire, à ne jamais exprimer mes besoins ni mes émotions. C’est comme si, dès mes premières années, on m’avait volé mon droit d’être moi-même.

Aujourd’hui encore, quand je repense à ces années, je ressens cette même boule au ventre, ce même sentiment d’impuissance. J’aurais voulu crier, pleurer, demander de l’aide. Mais à quoi bon ? J’avais appris que mes pleurs n’intéressaient personne. Alors, j’ai fait ce que j’ai pu : j’ai encaissé, jour après jour, en espérant qu’un jour, les choses changeraient.

L’âge adulte, un nouveau cycle de souffrance

Je pensais qu’en grandissant, les choses changeraient. Je croyais qu’une fois sortie de l’enfance, je pourrais enfin me construire une vie différente, loin des cris, des coups, et des humiliations. Mais l’âge adulte n’a rien arrangé. Il n’a fait que remplacer les figures de ma douleur par d’autres visages. Là où mes parents avaient laissé des cicatrices, mon mariage a creusé des plaies encore plus profondes.

Quand j’ai rencontré mon ex-mari, j’avais l’espoir, naïf peut-être, de trouver en lui un refuge. Il était charmant, attentionné. Il savait trouver les mots pour me rassurer, pour me faire croire qu’il serait l’épaule sur laquelle je pourrais enfin m’appuyer. Mais très vite, ce masque est tombé, révélant une personne bien différente. Il n’a pas fallu longtemps pour que ses critiques remplacent ses compliments, que son mépris efface ses gestes tendres.

Je suis devenue, une fois de plus, un souffre-douleur. Tout ce que je faisais n’était jamais assez. Chaque mot, chaque action semblait être une erreur à ses yeux. Il me rabaissait constamment, trouvant mille façons de me rappeler que je n’étais rien sans lui. Et moi, je l’ai cru. Parce qu’au fond, c’est ce qu’on m’avait appris dès l’enfance : que je n’avais aucune valeur par moi-même, que je devais me contenter de ce qu’on me donnait, même si c’était des miettes.

Les violences, cette fois, n’étaient pas seulement psychologiques. Les coups sont arrivés, discrets d’abord, presque subtils, comme s’ils devaient se cacher eux-mêmes. Une gifle, un bras tordu, un objet lancé dans ma direction. Puis, au fil du temps, ils sont devenus plus fréquents, plus brutaux. Mais même là, je trouvais des excuses. Pour lui, pour moi, pour cette vie qui semblait n’être qu’un éternel recommencement.

Je me disais que je devais tenir, qu’il changerait peut-être, qu’il finirait par voir tout ce que je faisais pour lui. J’ai tout supporté, jusqu’à l’insupportable. Les humiliations publiques, les nuits passées à pleurer en silence, les journées où je ne savais plus pourquoi je me levais. Il avait cette manière de jouer avec mes émotions, de m’offrir un semblant de répit pour mieux me faire chuter ensuite. C’était comme un jeu cruel, un va-et-vient entre le chaud et le froid, qui me laissait vidée, épuisée, mais toujours incapable de partir.

J’ai essayé de fuir, plusieurs fois. Une valise à la main, le cœur battant, je quittais la maison, persuadée que cette fois, c’était la bonne. Mais à chaque fois, il trouvait les mots pour me faire revenir. Les promesses, les excuses, les larmes même parfois. Et moi, je me raccrochais à l’idée qu’il pouvait changer, qu’il y avait encore de l’espoir. Mais ce n’était qu’une illusion. Il n’a jamais changé, et chaque retour était pire que le précédent.

Aujourd’hui, en repensant à ces années, je ressens autant de honte que de tristesse. Honte de ne pas avoir su partir plus tôt, de m’être laissé piéger encore et encore. Mais je sais aussi que ce n’est pas si simple. Quand on vit sous l’emprise de quelqu’un, on perd peu à peu tout ce qui fait de nous une personne libre. On perd sa confiance en soi, sa dignité, et même sa volonté de rêver. On devient une ombre, une marionnette, et on finit par croire que c’est tout ce qu’on mérite.

Ce chapitre de ma vie est l’un des plus sombres, mais il n’est pas la fin de l’histoire. Si je suis encore là pour en parler, c’est que, quelque part, j’ai trouvé la force de tenir. Et aujourd’hui, je veux croire qu’il est encore possible de reconstruire quelque chose, même après tant de destructions.

Une vie en fuite

Je ne saurais même pas compter le nombre de fois où j’ai essayé de fuir. C’est comme si toute ma vie se résumait à cela : prendre une valise, quelques affaires, et partir. Toujours sur le fil, toujours sur le point de m’effondrer. À chaque départ, j’avais cette infime lueur d’espoir que cette fois, je serais enfin libre. Mais cette liberté semblait toujours me glisser entre les doigts.

Quand je quittais quelqu’un ou une situation, je n’arrivais jamais à me débarrasser de ce sentiment d’être traquée. Même loin, même dans une nouvelle ville, avec de nouveaux visages autour de moi, je sentais encore leur présence. Leur voix résonnait dans ma tête, leurs critiques, leurs reproches. J’avais beau changer d’endroit, leur emprise restait la même. Comme si je ne pouvais jamais vraiment leur échapper.

Il y a eu des moments où j’ai frôlé la mort. Ces souvenirs, je les porte en moi comme des cicatrices invisibles, mais toujours douloureuses. Je me rappelle une nuit en particulier. J’avais quitté la maison en urgence, après une dispute qui avait failli mal tourner. Dehors, il faisait froid, et je n’avais rien d’autre qu’un sac à main et les vêtements que je portais. Je marchais dans la rue, sans destination, juste pour mettre de la distance entre moi et lui. Et pourtant, au fond de moi, je savais que ce n’était qu’une question de temps avant qu’il me retrouve.

Ces moments de fuite, ils sont remplis de solitude. Personne à qui se confier, personne pour me dire que tout irait bien. J’avais honte de demander de l’aide, honte de raconter ce que je vivais. Qui pourrait comprendre ? Qui pourrait croire que derrière cette façade de normalité, ma vie était un enfer ? Je me sentais prisonnière, non seulement de ces personnes qui m’oppressaient, mais aussi de ce que je croyais être ma destinée.

Et pourtant, il y avait toujours une petite voix en moi, une étincelle qui refusait de s’éteindre. Elle me disait de continuer, de ne pas abandonner. Je m’accrochais à cette idée qu’un jour, je pourrais peut-être poser ma valise pour de bon, que je pourrais trouver un endroit où je serais enfin en sécurité.

Mais ce jour-là n’est jamais venu. À chaque tentative, il y avait toujours quelque chose pour me ramener en arrière. Parfois, c’était lui, avec ses promesses, ses excuses, son habileté à me faire croire qu’il pouvait changer. Parfois, c’était moi, avec mes doutes, mes peurs, cette petite voix qui me disait que je ne méritais pas mieux, que je ne saurais pas faire autrement.

J’ai fini par comprendre que je ne fuyais pas seulement des gens ou des situations. Je fuyais quelque chose de plus profond, quelque chose en moi que je n’arrivais pas à affronter. Cette peur viscérale de l’abandon, ce besoin désespéré d’être aimée, même par ceux qui me faisaient du mal. C’était comme si une partie de moi croyait encore que je pouvais les sauver, ou que je pourrais être sauvée à travers eux.

Aujourd’hui, je sais que cette fuite perpétuelle m’a épuisée. Elle a laissé des traces, des blessures qui ne se refermeront peut-être jamais. Mais elle m’a aussi appris une chose : on ne peut pas échapper à soi-même. Si je veux trouver la paix, je dois arrêter de courir et affronter ce que j’ai longtemps fui. C’est terrifiant, mais c’est peut-être la seule chance que j’ai de me reconstruire.

Le poids de l’emprise

Pendant longtemps, je n’ai pas compris ce que je vivais. Je me disais que c’était ma faute, que je devais être différente, meilleure, plus forte. On m’avait tellement répété que j’étais le problème que je l’avais intégré comme une vérité. Tout ce que je vivais – la violence, le mépris, les humiliations – semblait logique dans cette perception déformée de moi-même. Si je souffrais autant, c’était sûrement parce que je le méritais.

C’est bien plus tard que j’ai commencé à entendre ce mot : emprise. Je ne savais pas ce qu’il voulait dire au départ, mais il résonnait en moi, comme un écho lointain. Peu à peu, en lisant, en écoutant des témoignages d’autres femmes, j’ai compris que ce n’était pas ma faute. J’ai compris que j’étais sous l’emprise de personnes qui savaient exactement comment manipuler mes peurs, mes faiblesses, pour mieux me contrôler.

Le plus terrible dans l’emprise, c’est qu’elle vous fait douter de tout, surtout de vous-même. Je n’avais plus confiance en mon propre jugement. Si je ressentais de la colère, je me disais que j’exagérais. Si j’avais envie de fuir, je me demandais si ce n’était pas moi qui étais injuste. Mon bourreau avait réussi à me faire croire que mes émotions étaient des ennemies, que je ne pouvais pas leur faire confiance.

Je me souviens d’un moment précis où j’ai commencé à ouvrir les yeux. C’était un soir, après une dispute particulièrement violente. J’étais seule dans ma chambre, recroquevillée sur moi-même, et une question m’est venue à l’esprit : “Et si ce n’était pas moi le problème ?” Ce simple doute a été comme une fissure dans un mur que je croyais indestructible. Une toute petite brèche, mais elle était là. Pour la première fois, j’ai envisagé la possibilité que je n’étais pas coupable de tout ce qui m’arrivait.

Mais comprendre, ce n’est pas encore agir. L’emprise, ce n’est pas seulement une question de mots ou de conscience. C’est un lien invisible, mais si puissant qu’il vous retient, même quand vous savez qu’il vous détruit. Chaque fois que je pensais partir pour de bon, il trouvait un moyen de me ramener. Et chaque fois, je retombais dans ce cercle vicieux, encore plus convaincue que je n’arriverais jamais à m’en sortir.

Je crois que ce qui m’a permis de commencer à briser ce lien, c’est de m’autoriser à ressentir de la colère. Une colère contre lui, contre tous ceux qui m’avaient fait du mal, mais aussi, et surtout, contre moi-même. Pas une colère destructrice, mais une colère lucide, une rage de vivre. Elle m’a donné l’énergie de me poser des questions que je n’avais jamais osé affronter : “Qu’est-ce que je veux vraiment pour ma vie ?” “Qu’est-ce que je mérite ?”

Ce ne sont pas des réponses qui viennent facilement. Après des années à me sentir dévalorisée, à être traitée comme un objet, il est difficile de s’imaginer digne de quelque chose de mieux. Mais cette idée a commencé à germer en moi : peut-être que je pouvais espérer une vie différente, une vie où je serais enfin libre.

Je ne vais pas mentir : l’emprise ne disparaît pas du jour au lendemain. Elle laisse des traces profondes, des réflexes de peur, des doutes qui reviennent parfois comme des fantômes. Mais ce soir-là, dans ma chambre, quelque chose a changé. Ce n’était pas encore la fin de mon cauchemar, mais c’était peut-être le début de mon réveil.

L’appel à la justice

Quand je repense à tout ce que j’ai vécu, il y a une chose qui revient toujours : cette colère, ce sentiment d’injustice qui ne me quitte jamais. Pendant des années, j’ai cru que c’était normal, que ma vie devait être comme ça. Mais aujourd’hui, je sais que ce n’est pas moi qui étais en tort. Ce n’est pas moi qui devrais avoir honte.

Et pourtant, c’est ce que je ressens encore parfois. Parce que dans notre société, les victimes sont toujours celles qui doivent se justifier. On demande pourquoi on n’est pas parties plus tôt, pourquoi on n’a pas parlé. Mais personne ne pose les bonnes questions. Personne ne demande pourquoi ces agresseurs ont pu agir en toute impunité. Pourquoi personne ne nous a tendu la main avant qu’on soit à terre.

Je ne veux plus que d’autres vivent ce que j’ai vécu. C’est pour ça que je parle aujourd’hui. Pas pour me plaindre ou pour qu’on ait pitié de moi, mais parce qu’il faut que ça change. On ne peut pas continuer à fermer les yeux sur la violence, surtout celle qu’on ne voit pas. Les coups, ça fait mal, mais les mots, les humiliations, la manipulation, ça détruit. Ça tue à petit feu, et personne ne le voit.

Je rêve d’un monde où la justice protège vraiment les victimes, où on n’a pas à prouver qu’on souffre, où on n’a pas à se battre encore et encore pour être entendues. Trop de victimes baissent les bras, pas parce qu’elles n’en ont pas la volonté, mais parce qu’elles sont épuisées. Moi-même, j’ai failli renoncer tellement de fois.

Il faut que les choses changent. Il faut que la violence psychologique soit reconnue pour ce qu’elle est : une vraie violence. Il faut des lois plus strictes, oui, mais aussi des gens formés, capables de voir ce qu’on vit, capables de nous aider. Parce que quand on est sous emprise, on n’a pas les forces de se battre seule. J’en sais quelque chose.

Et il faut qu’on arrête de blâmer les victimes. Sérieusement, vous pensez qu’on choisit cette vie ? Vous pensez qu’on aime ça ? Qu’on reste parce qu’on est faibles ou qu’on ne comprend pas ce qui nous arrive ? Non. On reste parce qu’on est sous emprise, parce qu’on est terrifiées, parce qu’on croit encore que les choses peuvent s’arranger. Ce n’est pas à nous qu’il faut demander des comptes. C’est à ceux qui nous détruisent.

En partageant mon histoire, j’espère qu’elle servira à quelque chose. Si elle peut aider une seule personne à se sentir un peu moins seule, ou pousser quelqu’un à agir, alors ce ne sera pas pour rien. Moi, je ne peux pas effacer ce que j’ai vécu, mais peut-être que je peux aider à éviter que d’autres subissent la même chose.

La justice ne me rendra pas ce qu’on m’a volé, je le sais. Mais elle peut encore faire quelque chose pour celles et ceux qui souffrent aujourd’hui, en silence, comme je l’ai fait pendant trop longtemps. Et ça, c’est tout ce que je demande.

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